Biographie de Gabriel Imbert

Gabriel est né le 24 Décembre 1895, à La Boissière, dans une famille de viticulteurs. Sa mère Marie  Négrou est elle aussi native de cette localité alors que son père, Théophile Imbert est né à Cazouls d’Hérault entre Pézénas et Paulhan sur les bords de l’Hérault. Ils ont un autre fils Alphonse Imbert né en 1900 lui aussi à La Boissière.

 

Gabriel est un bon élève puisqu’on l’envoie poursuivre ses études à l’école Primaire Supérieure de Saint Pons, il a alors dix sept ans. Une lettre de Noélie Bougette nous permet de penser qu’il se destinait à la carrière d’instituteur, puisqu’elle évoque “les amis de Gabriel qui sont à l’école normale”. La plupart des documents qui concernent la scolarité de Gabriel ayant été détruits, on considérera que cette hypothèse est vraisemblable. Comme tous les jeunes de la classe 1915, Gabriel, Noël, Marcellin, Joseph, Imbert est convoqué le 4 Novembre 1914 à 15 heures, à Aniane, pour passer devant le conseil de révision. Déclaré apte il va faire ses classes à Valréas dans le Vaucluse, avant de rejoindre le front le 29 Mai 1915 et d’être affecté au 149° puis 158° régiment d’infanterie; celui -ci combat entre Béthune et Arras en Artois, dans un secteur où les combats sont particulièrement acharnés en cette année 1915. Il appartient au 21 corps d’armée dirigé par le général Maistre  (28° lettre) qui est en position à l’Ouest de Notre Dame de Lorette.

Blessé à la cuisse, le 27 Septembre, Gabriel décède le 2 Octobre 1915. Il allait avoir vingt ans. Il obtient, a titre posthume, la médaille militaire le 13 Septembre 1920.

Le front du Nord: la stratégie française en 1915

a/ De la guerre de mouvement à la guerre de position

Il est nécessaire de rappeler quelle est la situation militaire au printemps 1915, au moment ou Gabriel rejoint le front. La guerre a été déclarée le 3 Août 1914 par l’Allemagne à la France. La France échoue dans son offensive en Alsace, tandis que les allemands attaquant par la Belgique connaissaient un incroyable succès: le 2 Septembre les troupes allemandes sont à Senlis à 25 kilomètres de la capitale, que le gouvernement a quitté ce jour même pour se réfugier à Bordeaux. La contre offensive de la Marne du 6 au 9 Septembre, oblige l’armée allemande à reculer jusqu’à l’Aisne. La course à la mer et la première bataille d’Artois entraînent la stabilisation du front dans le Nord, c’est la guerre de position.

 

b/ Géostratégie de la zone de l’Artois

                          La partie Sud du secteur entre la mer du Nord et Arras, est marquée par la présence d’un plateau crayeux, découpé par quelques cours d’eau ( Scarpe ), et doucement incliné vers le Sud Ouest, tandis qu’il se termine tout d’un coup en pente rapide vers le Nord, formant une sorte de terrasse d’où se découvre la plaine de Lens. Au point de vue militaire , les positions constituées par le bord de ce plateau, ont une grande valeur. Les allemands ont donc fortifié la partie de la bordure dont ils ont pu s’emparer au Nord d’Arras. Truffés d’abris profonds, de nids de mitrailleuses et de mortiers sous casemate, relié par un lacis inextricable de tranchées et de boyaux protégés par des réseaux aussi denses que solides, le front tenu par la VI armée allemande (Rupprecht) se présentait comme un champ clos.

 

c/ Les combats de 1915 en Artois l’offensive du 9 Mai 1915

L’action principale sera dirigée par le Général FOCH mis à la tête des armées du Nord le 5 Janvier 1915. Elle sera conduite par la X° armée du général d’URBAL disposant de 15 divisions d’infanterie, de 3 divisions de cavalerie appuyées par 780 pièces d’artillerie de campagne, 300 d’artillerie lourde et par 4 escadrilles aériennes. Déclenchée le 9 Mai 1915 elle vise en premier lieu l’extraordinaire terrasse de la crête de Vimy .

La préparation d’artillerie a été efficace dans ce secteur, et le 33 corps d’armée (CA) conduit par Pétain, obtient d’emblée un remarquable succès. En son centre la 77 division d’infanterie (DI) s’empare du Cabaret-Rouge, pénètre dans Souchez et pousse au delà de la côte 119, jusqu’au bois de Givenchy. Mais son chef le général BARBOT est tué au cours de l’action. A sa gauche , la 70 DI de FAYOLLE investit Carency et Ablain-Saint-Nazaire. A sa droite, la division du général BLONDLAT enlève d’un seul bon les positions adverses, occupe les points culminants de la crête de Vimy (côte 140, lisière du bois de la Folie) et rejoint les fantassins de BARBOT aux abords de Givenchy. Mais l’absence de réserves ne permet pas aux tirailleurs et à la légion de faire face à la violente contre-attaque menée par les allemands dans la soirée, la “Marocaine” doit se retirer. Les corps voisins sont bloqués par la puissance des organisations allemandes et il leur faudra près d’un mois pour se rendre maîtres de Notre Dame de Lorette (21 CA) (que Gabriel évoque dans sa 10 lettre datée du 7 Juin 1915) de Carency et d’Ablain Saint Nazaire (33 CA), de Neuville Saint Vaast, du Labyrinthe, de la Targette (20 puis 10 CA). Le 16 Juin D’URBAL tente de reprendre l’action sur le même front, avec 20 divisions, mais il échoue par suite d’épuisement de ses troupes. C’est certainement lors de cette opération que Gabriel subit son baptême du feu raconté dans sa 26 lettre, puisqu’il date l’attaque du 17 Juin 1915. Le 24 Juin sur ordre du GQG , Foch arrête les opérations.

Quelles conclusions le commandement va-t-il tirer de ces expériences décevantes ?

Alors que Foch, dans une note remise le 19 Juillet au GQG estime “qu’il parait sage de ne pas fonder toutes se espérances sur l’idée de trouée décisive et victorieuse”; Joffre, lui n’a pas varié. Ecrivant le 23 Août au ministre, il affirme encore que “ la rupure du front ennemi est possible et peut-être exploitée à condition que des attaques puissantes soient menées simultanément dans différentes régions, et chacune sur un très grand front”

Telle est la genèse du projet arrété à Chantilly en Juillet 1915. Lancer deux actions d’envergure le même jour en Artois et en Champagne, au mois de Septembre.

L’offensive du 25 Septembre 1915

En Artois sous la haute autorité de Foch et de French (général anglais) 31 divisions, dont 13 britanniques seront engagées.

La X armée attaquera avec 6 corps le 9, 17, 12, 3, 33 et celui de Gabriel le 21; sur un front de 15 kilomètres avec l’appui de 700 pièces de campagne et de 300 pièces lourdes entre Arras et Notre Dame de Lorette.

La préparation d’artillerie commence le 20 Septembre. Gabriel est témoin de ces préparatifs, lui qui évoque “un grand coup avant l’hiver” dans sa 72 lettre du 6 septembre 1915, et qui constate que “le canon tire effroyablement depuis quelques jours” dans sa 81° lettre du 21 Septembre 1915. Le 24 Septembre dans sa 83 lettre il sait: “Nous voilà à la veille de l’attaque”.

A la gauche de la X°armée, le 21° Corps du général MAISTRE et le 33° de FAYOLLE n’attaquent qu’à 12 heures 25  le 25 Septembre, retardés par la brume, dont parle Gabriel dans sa 84 lettre datée du 25 Septembre: “alors qu’on partait , un très violent orage a éclaté et nous a trempé jusqu’aux os. Le ciel reste brumeux…” Mauvais présage…

Le 21° et le 33° Corps atteignent leurs objectifs, ils progressent de 6 kilomètres, dépassent Souchez, atteignent les abords de la Folie et occupent une partie du bois de Givenchy. Mais les résultats obtenus en Champagne ne permettent pas d’alimenter la bataille en Artois et l’offensive d’Artois se transforme en diversion.

L’effroyable bilan humain

Gabriel sérieusement blessé dans cette offensive (quoiqu’il soit encore en mesure d’écrire à sa famille les 29 Septembre et 1° Octobre) meurt le 2 Octobre, victime d’une stratégie, sanglante et vaine” (P.Renouvin Que Sais-je La première guerre mondiale) voulue par Joffre.

L’année 1914 avait déjà fait, côté français,  “300 000 tués et quelques 600 000 blessés, prisonniers ou disparus” (J. Chastenet Histoire de la III° République tome IV) . L’année 1915 est selon son expression “l’année stérile”. Côté français et uniquement sur le front de l’Ouest, on a perdu “375 000 tués ou disparus et 960 000 blessés graves”

“ Tant de jeune sang répandu n’a pas suffi à faire fléchir d’appréciable manière ni l’un ni l’autre des plateaux de la balance.

Dépêche de MORNAS le 29 Mai 1915 reçue à 18H00

“Attendons avec Lormand, départ incessant, lettre suit”

GABRIEL

 

Dépêche de LYON le 31 MAI 1915 reçue 10H00

“ Arrivé cette nuit à Lyon, attendons départ incessamment. Toujours content et en bonne santé”

GABRIEL

 

Dépêche de LYON le 1 JUIN 1915 reçue 10H00

“Partons à 10 heures ce matin , content, en bonne santé”

GABRIEL

 

1°carte LYON (Fort Lamothe) 10H00 du matin 1° JUIN 1915

“Bien chers parents, me voilà dans la cour tout équipé. Attendons le départ. Nous sommes tous contents et joyeux, par conséquent pas d’inquiétude. Mille baisers à tous”

GABRIEL

 

2° MÂCON 15H00 le 1° JUIN 1915

“Bien chers parents, Ici à Mâcon nous avons quarante minutes d’arrêt; un garde-voie avec lequel nous venons de causer nous a dit que depuis ce matin c’était le dix-septième train qui passait. C’est incroyable les troupes qui vont au front. On va nous servir du café, on nous soigne. Toujours content, en bonne santé”

GABRIEL

 

3° MÂCON 15H00 le 1° JUIN 1915

“Bien chers parents, en route pour le front, voyage splendide, entrain et gaieté admirable. Pour ma part suis vraiment heureux. Mille baisers à tous. Sommes dans ce train plus de 4000 hommes, où nous passons on nous offre toutes sortes de choses”

GABRIEL

 

4° DIJON 20H00 1° JUIN 1915

“ Mes bien chers parents, nous voici à Dijon où nous avons quarante minutes d’arrêt, nous causons à l’instant avec le chef de gare qui nous dit que nous passerons à Paris à 7H00 du matin. De là on sera dirigé soit à Arras soit sur Ypres. Toujours content et en bonne santé, dans toutes les gares les employés nous disent que c’est incroyable les troupes qui passent. Attendons avec confiance et grand espoir. Ne vous inquiétez pas et recevez mes plus tendres caresses. Vivement qu’on voit les boches !”

GABRIEL

 

5° MONTEREAU 8H00 2 JUIN 1915

“Bien chers parents, nous approchons de Paris, nous avons passé la nuit dans le train et dans diverses gares on nous a offert diverses boissons. Toujours content et en bonne santé. On chante, on chahute et les gens d’ailleurs sont très affables. Nous sommes passés par Is-sur-Tille, c’est vous dire que je n’ai pu voir papa. Ne vous inquiétez pas car pour ma part je ne m’en fais pas. Mille baisers à tous.”

 

GABRIEL

6° PARIS midi le 2 JUIN 1915

“Mes biens chers parents, nous voilà à Paris. La tour Eiffel se voit très bien et nous avons deux heures d’arrêt. A l’instant ou je vous écrit, deux aéroplanes, qui assurent la surveillance de la capitale, nous survolent et on les voit très bien.  Vous dire l’accueil qu’on nous a fait ici à Paris , vous ne pouvez le croire. Les gens accourent à nous et nous offrent du café, des cigares, cigarettes, porte-bonheur. C’est vraiment admirable, aussi nous sommes enthousiasmés. Nous allons partir et nous arrêter au Bourget où il y a une halte de trois heures et l’on doit nous ravitailler. Ensuite nous irons rejoindre les copains qui sont au front. Voilà déjà 26 heures que nous sommes dans le train; et bien d’après ce que nous a dit l’officier qui nous conduit, nous n’arriverons pas à destination avant demain au soir. Toujours joyeux et en bonne santé. Recevez tous , et en particulier les grand-mères, mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

7° AUDENS 9H00 3 JUIN 1915

“ Bien chers parents, voilà 48H00 que nous sommes dans le train, mais nous sommes toujours en bonne santé et toujours joyeux. Le canon gronde, on entend très bien nos chers 75. Des dirigeables et aéroplanes nous survolent pour protéger le train contre toute tentative des taubes. Nous débarquerons à la prochaine gare à 5 km d’ici et à 15 km des boches. Ici à Audens j’ai vu le 3° d’artillerie de Carcassonne mais ce sont des vieux, les jeunes sont au front mais à peu de distance. Je serais heureux de pouvoir voir des amis. A mesure qu’on approche, chers parents, notre impatience grandit. Ne vous inquiétez pas car nous sommes tous contents. Nous avons rencontré un convoi de prisonniers boches, à ce qu’il paraît qu’on les repousse très bien. Mille baisers à tous”

GABRIEL

 

8° SECTEUR 116 Le 3 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, Impossible de vous dire où nous sommes , sachez seulement que nous nous trouvons à 15 Km du front. Nous sommes pour le moment au 149° d’infanterie, par conséquent adressez moi vos lettres à l’adresse suivante: G Imbert, soldat de 1°classe, 9° bataillon, 34°

compagnie, 12° escouade, 149° d’infanterie, Secteur 116.Toujours content et en bonne santé, je vous demanderais de m’envoyer un peu d’argent, pas par mandat mais dans votre prochaine lettre. Par conséquent pas d’inquiétude car moi je ne m’en fais pas. J’attends de vos nouvelles avec impatience. Mille bons baisers”

GABRIELARRAS

 

9° SECTEUR 116, 5 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, Toujours content et en bonne santé, je serais vraiment heureux de vous détailler ma nouvelle vie, mais je crains que la censure empêche ma lettre de vous arriver. Sachez seulement que je me trouve avec Lormand et que nous ne nous inquiétons pas. Nous sommes en 3° ligne et au repos pour quelques jours. Journellement il nous arrive des troupes en masse, qui se trouvent comme nous en arrière. Le canon gronde nuit et jour . Il fait un temps magnifique, seulement les nuits sont plus fraîches que chez nous. Je viens d’assister à l’instant à une chasse aux taubes par nos avions, et c’était vraiment intéressant. Plus tard je vous raconterai cela avec plaisir, je termine et surtout ne vous inquiétez pas. Milles baisers à tous sans oublier les grand-mères, de celui qui pense à vous.”

GABRIEL

Dépêche de MORNAS le 29 Mai 1915 reçue à 18H00

“Attendons avec Lormand, départ incessant, lettre suit”

GABRIEL

 

Dépêche de LYON le 31 MAI 1915 reçue 10H00

“ Arrivé cette nuit à Lyon, attendons départ incessamment. Toujours content et en bonne santé”

GABRIEL

 

Dépêche de LYON le 1 JUIN 1915 reçue 10H00

“Partons à 10 heures ce matin , content, en bonne santé”

GABRIEL

 

1°carte LYON (Fort Lamothe) 10H00 du matin 1° JUIN 1915

“Bien chers parents, me voilà dans la cour tout équipé. Attendons le départ. Nous sommes tous contents et joyeux, par conséquent pas d’inquiétude. Mille baisers à tous”

GABRIEL

 

2° MÂCON 15H00 le 1° JUIN 1915

“Bien chers parents, Ici à Mâcon nous avons quarante minutes d’arrêt; un garde-voie avec lequel nous venons de causer nous a dit que depuis ce matin c’était le dix-septième train qui passait. C’est incroyable les troupes qui vont au front. On va nous servir du café, on nous soigne. Toujours content, en bonne santé”

GABRIEL

 

3° MÂCON 15H00 le 1° JUIN 1915

“Bien chers parents, en route pour le front, voyage splendide, entrain et gaieté admirable. Pour ma part suis vraiment heureux. Mille baisers à tous. Sommes dans ce train plus de 4000 hommes, où nous passons on nous offre toutes sortes de choses”

GABRIEL

 

4° DIJON 20H00 1° JUIN 1915

“ Mes bien chers parents, nous voici à Dijon où nous avons quarante minutes d’arrêt, nous causons à l’instant avec le chef de gare qui nous dit que nous passerons à Paris à 7H00 du matin. De là on sera dirigé soit à Arras soit sur Ypres. Toujours content et en bonne santé, dans toutes les gares les employés nous disent que c’est incroyable les troupes qui passent. Attendons avec confiance et grand espoir. Ne vous inquiétez pas et recevez mes plus tendres caresses. Vivement qu’on voit les boches !”

GABRIEL

 

5° MONTEREAU 8H00 2 JUIN 1915

“Bien chers parents, nous approchons de Paris, nous avons passé la nuit dans le train et dans diverses gares on nous a offert diverses boissons. Toujours content et en bonne santé. On chante, on chahute et les gens d’ailleurs sont très affables. Nous sommes passés par Is-sur-Tille, c’est vous dire que je n’ai pu voir papa. Ne vous inquiétez pas car pour ma part je ne m’en fais pas. Mille baisers à tous.”

 

GABRIEL

6° PARIS midi le 2 JUIN 1915

“Mes biens chers parents, nous voilà à Paris. La tour Eiffel se voit très bien et nous avons deux heures d’arrêt. A l’instant ou je vous écrit, deux aéroplanes, qui assurent la surveillance de la capitale, nous survolent et on les voit très bien.  Vous dire l’accueil qu’on nous a fait ici à Paris , vous ne pouvez le croire. Les gens accourent à nous et nous offrent du café, des cigares, cigarettes, porte-bonheur. C’est vraiment admirable, aussi nous sommes enthousiasmés. Nous allons partir et nous arrêter au Bourget où il y a une halte de trois heures et l’on doit nous ravitailler. Ensuite nous irons rejoindre les copains qui sont au front. Voilà déjà 26 heures que nous sommes dans le train; et bien d’après ce que nous a dit l’officier qui nous conduit, nous n’arriverons pas à destination avant demain au soir. Toujours joyeux et en bonne santé. Recevez tous , et en particulier les grand-mères, mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

7° AUDENS 9H00 3 JUIN 1915

“ Bien chers parents, voilà 48H00 que nous sommes dans le train, mais nous sommes toujours en bonne santé et toujours joyeux. Le canon gronde, on entend très bien nos chers 75. Des dirigeables et aéroplanes nous survolent pour protéger le train contre toute tentative des taubes. Nous débarquerons à la prochaine gare à 5 km d’ici et à 15 km des boches. Ici à Audens j’ai vu le 3° d’artillerie de Carcassonne mais ce sont des vieux, les jeunes sont au front mais à peu de distance. Je serais heureux de pouvoir voir des amis. A mesure qu’on approche, chers parents, notre impatience grandit. Ne vous inquiétez pas car nous sommes tous contents. Nous avons rencontré un convoi de prisonniers boches, à ce qu’il paraît qu’on les repousse très bien. Mille baisers à tous”

GABRIEL

 

8° SECTEUR 116 Le 3 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, Impossible de vous dire où nous sommes , sachez seulement que nous nous trouvons à 15 Km du front. Nous sommes pour le moment au 149° d’infanterie, par conséquent adressez moi vos lettres à l’adresse suivante: G Imbert, soldat de 1°classe, 9° bataillon, 34°

compagnie, 12° escouade, 149° d’infanterie, Secteur 116.Toujours content et en bonne santé, je vous demanderais de m’envoyer un peu d’argent, pas par mandat mais dans votre prochaine lettre. Par conséquent pas d’inquiétude car moi je ne m’en fais pas. J’attends de vos nouvelles avec impatience. Mille bons baisers”

GABRIELARRAS

 

9° SECTEUR 116, 5 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, Toujours content et en bonne santé, je serais vraiment heureux de vous détailler ma nouvelle vie, mais je crains que la censure empêche ma lettre de vous arriver. Sachez seulement que je me trouve avec Lormand et que nous ne nous inquiétons pas. Nous sommes en 3° ligne et au repos pour quelques jours. Journellement il nous arrive des troupes en masse, qui se trouvent comme nous en arrière. Le canon gronde nuit et jour . Il fait un temps magnifique, seulement les nuits sont plus fraîches que chez nous. Je viens d’assister à l’instant à une chasse aux taubes par nos avions, et c’était vraiment intéressant. Plus tard je vous raconterai cela avec plaisir, je termine et surtout ne vous inquiétez pas. Milles baisers à tous sans oublier les grand-mères, de celui qui pense à vous.”

GABRIEL

10° SECTEUR 116, 7 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, Il est trois heures de l’après midi et j’ai décidé aujourd’hui de vous donner quelques détails sur ma vie qui finit ce soir. Laissez moi vous dire tout d’abord que nous allons, demain matin, rejoindre la ligne de feu. Nous étions logés dans un petit village, dans le nord d’Arras, entre Béthune et Arras. Regardez la carte, et si vous lisez les communiqués, vous entendrez parler longtemps de ce secteur. Ainsi donc nous étions couchés dans une cour de vaches, mais malgré cela on dormait bien, car je dois vous dire mes bien chers parents que ma santé est admirable. J’ai un appétit féroce, la nuit je ne m’éveille jamais, et jamais je n’ai ni maux de tête, de ventre, ni coliques, c’est dire mes chers parents que je me trouve dans d’excellentes conditions. Nous étions bien nourris, et inutile de vous dire que l’on est toujours gais. En passant et plus tard je vous raconterai tout cela plus longuement, c’est que les gens du Nord ne sont pas aussi aimables que ce que l’on croit et de beaucoup ! On nous vend des denrées à des prix exorbitants; pour mieux dire, ils nous écorchent. Enfin ce soir est la dernière soirée à passer ici. Ce matin nous étions en marche de 25 Km avec équipement complet. Le commandant, après nous avoir réuni nous a tenu le discours suivant: Nous étions ici et formions un bataillon de marche et pouvions nous attendre à partir d’heure en heure car, dit-il, on va chercher à percer du côté d’Arras, et refouler les boches hors de France. La prédiction n’a pas tardé à se réaliser, en effet nous partons et j’ai la chance de partir demain avec Lormand  pour le 158°. Il en faut pour tous les régiments et c’est incroyable les troupes qui se ramassent dans ce secteur. Beaucoup de cavalerie attend aussi son départ. Ainsi , chers parents, je crois bien qu’ici quelque jour on tentera le grand coup. Depuis deux jours le canon tonne d’une manière effrayante; nuit et jour on entend ce terrible grondement, mais cela ne nous empêche pas de dormir, car on commence à y être habitués. Ainsi donc chers parents croyez que je suis vraiment heureux, et tous, nous avons le même état d’esprit: Nous aimerions bien repousser les boches, on va essayer avec beaucoup de courage et le 158° tâchera moyen de faire parler de lui, comme on l’a fait à Notre Dame de Lorette. Par conséquent ayez du courage, car moi j’en ai beaucoup et tranquillisez- vous car je pars avec Lormand. Il ne me sera peut-être pas possible de vous écrire très souvent, par conséquent ne vous effrayez pas si vous ne recevez pas des nouvelles de quelques jours, et de plus je ne vous enverrai peut-être que des simples cartes, encore une fois du courage et bon espoir et surtout dans le village ne désespérez pas. J’écris en même temps à papa. Je n’ai encore rien reçu de votre part mais je comprends très bien ce long retard. Je termine chers parents et surtout que les grand-mères ne s’inquiètent pas, nous on ne s’en fait pas et notre seul devoir à tous c’est de refouler les boches. Mes meilleures amitiés à tous les amis, mille bons baisers aux grand-mères, aux parents et surtout à la titassa. Pour vous mes bien chers parents, recevez mes plus tendres caresses, excusez mon écriture car je suis pressé, écrivez toujours à la même adresse, le petit patelin où nous sommes s’appelle Bouys.”

GABRIEL

 

11° SECTEUR 116 9 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, nous avons rejoint le 158° d’infanterie qui est au repos depuis 4 jours, notre joie a été grande car nous avons rencontré beaucoup de copains, notamment  Jalabert. Nous avons passé la soirée ensemble et avons dormi ensuite dans une écurie où l’on n’était pas bien mal puisque ce matin on s’est réveillés dispos et toujours gais. Je ne vous raconterai pas, chers parents, ce qu’est la vue de l’aspect du front actuellement, et dans le secteur où nous sommes , non je n’ai pas le temps et de plus ce n’est pas trop possible de raconter cela sur une lettre. Sachez seulement qu’hier en arrivant nous avons été repérés par une taube qui nous a lancé des bombes. Aucune perte car elle a été bombardée par notre artillerie et s’est enfuie. Par la lecture des communiqués vous verrez que ça chauffe, mais que ça va bien . L’artillerie tonne continuellement et chaque jour il arrive de nouvelles troupes et des pièces lourdes. Nous sommes bien contents, pleins de courage et attendons notre départ pour les tranchées. Lormand lui aussi est ici et nous devons nous retrouver ce soir. Je termine et vous envoie mes plus tendres caresses. Regardez ma nouvelle adresse sur l’enveloppe.”

GABRIEL 

 

12° SECTEUR 116 9 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, je viens de passer la soirée avec Lormand et Jalabert, on a rencontré des anciens amis et je vous assure que l’on ne s’inquiète pas. Ma santé est excellente et attendons notre départ, peut-être cette nuit car nous avons touché un repas froid. Le canon tonne effroyablement, jour et nuit on entend ce grondement et journellement il nous arrive de grosses pièces lourdes. Impossible, inimaginable l’artillerie qui se trouve dans ce secteur, il y a aussi des troupes en masse. Nous avions ce soir concert par la musique du 158°, c’était vraiment impressionnant ces airs joyeux et cette gaieté générale sous le grondement du canon; notre colonel et le général y assistaient. L’arrivée du général coïncidera sûrement avec l’offensive que nous voulons prendre. Enfin chers parents nous attendons avec confiance et grand courage. Après mon premier combat je tacherai de vous donner quelques petits détails sur cette vie. Surtout ne vous inquiétez pas, à cette condition je serais très content. Jalabert est grenadier c’est à dire que lorsqu’on va à l’attaque il lance des grenades. Je termine je vais me coucher. Mille bons baisers aux grand-mères Fine et Rose aux parents et à la Titassa. Pour vous chers parents recevez mes plus tendres caresses. Amitiés aux amis. Lisez les communiqués.”

GABRIEL

 

13° SECTEUR 116 13 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, J’avais fait hier soir deux longues lettres, une pour vous et l’autre pour papa, vous donnant beaucoup de détails sur ma nouvelle vie, lorsque ce matin on nous a lu qu’il était expressément défendu de dire où nous étions et de donner aucun détail sur ce qui se passait. Les lettres seraient ouvertes au départ et l’expéditeur qui n’aurait pas tenu compte de ce qui s’était lu serait sévèrement puni et la lettre déchirée. Mes deux lettres, chers parents, je suis obligé de les déchirer et dorénavant mes lettres, ou plutôt mes cartes, seront très brèves. Pour le moment je suis en excellente santé et nous sommes très bien nourris, inutile de vous dire que je suis content et que jusqu’ici cette vie me plaît beaucoup. J’ai reçu, hier soir, 5 lettres : 1 de papa, 1 de commamala, 1 de Louis et enfin la photographie d’Ernest. Je termine, chers parents et vous prie de recevoir de celui qui pense à vous, mes plus tendres caresses. En particulier un gros baiser aux grand-mères et à la titassa.”

GABRIEL

 

14° SECTEUR 116 13 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, toujours content et en bonne santé, j’aimerai et j’espère bien qu’il doit en être de même pour vous. Je vous demandais dans une de mes lettres de l’argent , je n’ai encore rien reçu; Par conséquent  lorsque cette carte vous parviendra, si vous n’avez point fait le nécessaire, envoyez moi un mandat télégraphique. Inutile de vous dire qu’au cas ou la lettre serait partie avec le contenu, n’envoyez point de mandat télégraphique. Je vois chaque soir Lormand et Jalabert et je vous assure que l’on ne s’inquiète pas. J’ai reçu une lettre de Jean qui m’a bien fait plaisir, et me propose de lui répondre ces jours-ci. Surtout pas d’inquiétude à mon sujet car on ne s’en fait pas. Mes bons baisers aux parents en particulier aux grand-mères et à la petite Noélie, mes meilleures amitiés aux amis. Pour vous mes plus tendres caresses. Il fait un temps splendide, j’écris en même temps à papa

GABRIEL

 

15° SECTEUR 116 14 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, il est huit heures du soir, nous venons d’assister à un concert donné par notre musique et nos clairons et croyez bien, chers parents, que rien n’est plus intéressant que les airs joyeux sous le bruit de nos canons qui font rage. J’ai eu le grand bonheur de rencontrer à cette soirée Marius Souveyran, le fils de Souveyran le boucher d’Aniane qui se trouve lui aussi au 158°. Nous avons passé la soirée ensemble et dans l’intention de se revoir chaque fois que ce sera possible. J’ai passé la soirée avec Lormand et Jalabert et comme à l’habitude on ne s’inquiète pas. Ma santé est toujours excellente et vous en souhaite de même. Par conséquent, chers parents tranquillisez-vous, car ce serait à tord que vous vous inquiéteriez. De même j’écris à Papa. Mes meilleures amitiés aux amis; mille bons baisers aux parents et grand-mères et en particulier à la petite Noëlie. Pour vous recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

16° SECTEUR 116 le 16 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, toujours content et en bonne santé. Ici il fait un temps magnifique, ne vous inquiétez pas. Je me propose d’écrire à Louis lorsque je me suis aperçu que dans sa lettre il n’avait pas mis le secteur. Par conséquent, veuillez, dans votre réponse me donner son adresse. Je n’ai reçu aucune de vos lettres sauf celle datée du 31 Mai, peut-être avant que cette carte vous parvienne j’aurai déjà reçu de vos nouvelles. Je comprend très bien ce long retard, je termine et vous prie de présenter mes meilleures amitiés à tous les amis, et mille bons baisers aux parents et grand-mères en particulier, ainsi qu’à la titassa. Pour vous mes chers parents recevez mes plus tendres caresses. De celui qui pense souvent à vous. J’écris en même temps à papa.”

GABRIEL

 

17° SECTEUR 116 17 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, ma santé est excellente et comme à l’habitude je suis toujours content, ici il fait très beau, bien que les nuits soient fraîches. J’attend toujours de vos nouvelles et vous aviserai dès que j’aurai reçu une de vos lettres. J’écris en même temps à papa. Je termine et vous prie de présenter mes meilleures amitiés aux amis. Mille baisers aux parents, grand-mères et surtout à la petite Noëlie, pour vous mes chers parents recevez mes plus tendres caresses. D’un fils qui ne vous oublie pas et surtout ,ne s’en fait pas” GABRIEL

 

18° SECTEUR 116 18 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, je vous écris toujours en bonne santé et toujours content. J’attends aujourd’hui avec impatience le vaguemestre car il me tarde d’avoir de vos nouvelles. Ici il fait très frais mais l’on peut trés bien supporter cette température. Mille bons baisers aux parents, aux grand-mères et en particulier à la petite Noëlie. Pour vous chers parents recevez les plus tendres caresses d’un fils qui pense à vous. Donnez moi l’adresse de Louis.”

GABRIEL

 

19° SECTEUR 116 le 19 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, ce soir à six heures le vaguemestre m’a remis votre colis que j’ai reçu avec un grand plaisir, je n’ai qu’à vous remercier et j’ai trouvé tout, Et surtout le camphre qui nous est d’une grande utilité ainsi que l’alcool de menthe. Par conséquent lorsque vous m’enverrez un deuxième colis pas plus gros que celui-là mettez y toujours un petit sachet de camphre. J’ai été très heureux aussi de vous savoir en bonne santé ainsi que ce cher papa. Pour moi je vous le répète, je me porte à merveille et toujours content. Je n’ai reçu aucune lettre si ce n’est votre billet, mais je comprend ce retard et surtout dorénavant mettez bien l’adresse comme sur la carte que je vous ai adressée. Mille bons baisers aux parents et en particulier aux grand-mères et à la titassa. Pour vous, chers parents recevez les plus tendres caresses d’un fils qui pense à vous. Le paquet contenait encore un paquet de cigarettes, chocolat , saucisson et sucre” GABRIEL

20° SECTEUR 116 “Les tranchées” le 20 JUIN 1915

toujours content et en bonne santé”

GABRIEL

 

21° SECTEUR 116 “les tranchées” le 21 JUIN 1915

“Le vaguemestre vient de me remettre une lettre de papa. Vous ne pouvez comprendre quel plaisir j’ai eu à la lire et j’ai été très heureux de le savoir en bonne santé. De vous je n’ai encore rien reçu mais j’espère que cela ne tardera pas. Pour moi comme à l’habitude ma santé est excellente et je conserve toujours bon courage et bon espoir. Dès que nous serons relevés je vous écrirai plus longuement. Mes meilleures amitiés à tous les amis, mille bons baisers aux parents. Pour vous recevez les plus tendres caresses d’un fils qui pense toujours à vous.”

GABRIEL

 

22° SECTEUR 116 “les tranchées” le 22 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, j’ai eu ce soir le grand plaisir de recevoir une de vos lettres datée du 17 Juin, contenant 20 francs et le gentil petit souvenir que vous savez. Je vous en remercie. Maintenant laissez moi vous dire que les autres lettres je ne les ai point reçues, ni le colis de tata; mais enfin je crois que cela ne tardera pas et vous écrirai dès que je l’aurai reçu. Ma santé est excellente et suis toujours content. Remerciez Etienne et Léa de leurs gentilles lettres et dites leur que je leur répondrai dès que nous serons au repos. De même lorsque nous serons relevés je vous écrirai plus longuement. J’écris en même temps à papa. Mes meilleurs souvenirs aux amis, mille baisers aux parents et en particulier aux grand-mères et à la petite Noëlie. De deux ou trois jours je ne pourrai vous donner de mes nouvelles, par conséquent ne vous effrayez pas, malgré tout je ferais mon possible pour vous écrire.

GABRIEL

 

23° SECTEUR 116 le 26 JUIN 1915 8h00 du matin

“Toujours en bonne santé et toujours content. Je vous écrirai plus longuement un de ces jours. Mille bons baisers à tous je ne vous oublie pas”

GABRIEL

 

24° SECTEUR 116 le 27 JUIN 1915 8H00 du matin

“Suis au repos. Toujours content et en bonne santé. Ce soir je t’écrirai plus longuement. Mes plus tendres caresses à tous”

GABRIEL

 

25° BOIS DE NOULETTE SECTEUR 116 Le 28 JUIN 1915 6H00 du soir

“Mes parents bien aimés, nous venons de manger la soupe et je me trouve assis dans l’herbe consacrant le reste de ma soirée à penser à vous. Je dois tout d’abord vous dire qu’après une douzaine de jours en première ligne nous avons été relevés hier soir à 11H00. Actuellement nous nous trouvons dans un bois des plus gentils et très en arrière du front. Nous repartirons ce soir à 9H00 et l’on nous transportera beaucoup plus en arrière et aurons probablement 15 ou 20 jours de repos. Ce sont des autos qui doivent nous porter à destination et probablement nous allons changer de secteur. Vous dire le bonheur que j’éprouve, cela ne se comprend pas, il faut le ressentir. Je vous ai déjà donné quelques détails sur notre secteur et vous devez savoir qu’il n’en existe aucun comme celui-là. Aujourd’hui je ne m’étendrai pas longuement sur ce sujet, non car je n’ai pas encore l’esprit assez tranquille, et ce n’est que pendant ce mois de repos que je vous raconterai ces jours passés en première ligne, au milieu d’un ouragan de fer et de feu et d’une grêle de balles et d’obus. Nous avons attaqué déjà trois fois à la baïonnette et pour bien comprendre tout cela il faut y passer. Aussi chers parents quoiqu’on vous dise sur la vie du front croyez le. Vraiment il faut vivre ces minutes angoissantes. Ah, chers parents, je vous parle à coeur ouvert et bien vous pouvez croire que l’on a confiance et puisque nous en sommes aux confidences, je puis dire que c’est grâce à Dieu si je suis encore vivant. Par conséquent après avoir vécu ses heures terribles, vous pouvez croire quel bonheur on a éprouvé à se trouver sain et sauf et enfin tranquille. Ne croyez pas chers parents que pendant ces heures terribles je fus découragé, non pas du tout. Ma grande confiance m’a permis de conserver tout mon sang-froid et me trouve joyeux d’avoir vu tout cela. Mon baptême du feu a été une attaque à la fourchette. J’ai vu rouge, on ne savait plus ce que l’on faisait et l’esprit un peu plus reposé je vous donnerai des plus longs détails sur ce début. Enfin malgré tout j’ai toujours bon appétit et suis en excellente santé. Il fait ces jours-ci un temps affreux, il a plu continuellement et cette nuit à la relève on était tous méconnaissables. Enfin je me rêvais propre et toujours tranquille et on ne s’en fait pas car tout le reste s’oublie. Par conséquent pas d’inquiétude car je suis bien-portant et ai un appétit formidable. J’ai vu Lormand et lui aussi a beaucoup souffert car il est resté 5 jours sans pouvoir être ravitaillé, et la soif les étouffait, ils étaient obligés de boire leurs urines. Aujourd’hui il a tout oublié et surtout n’en parlez pas à ses parents, à moins qu’il le leur ai déjà écrit. Il se trouve dans un petit bois à côté du notre et il part aussi ce soir et nous devons nous retrouver au repos. J’ai déjà reçu beaucoup de vos lettres et aussi de papa. Ma joie a été grande de vous savoir en bonne santé. Comme argent je n’ai reçu que 10 francs, mais j’espère que je ne tarderai pas à recevoir le reste. Quelques unes de vos lettres ne m’ont pas été remises et je vais vous expliquer sommairement dans quelles conditions. Après l’attaque, il y a deux jours, qui a eu lieu à minuit cinquante deux, je me trouvais avec un caporal et nous n’avons pu rejoindre notre compagnie, je ne puis vous dire et vous expliquer encore pourquoi. Nous sommes restés 48 heures ainsi et nous fûmes portés à la compagnie comme disparus car on ne savait pas si nous étions prisonniers ou tués. La conclusion de tout cela a été que vos correspondances furent renvoyées aujourd’hui. J’ai fait aussitôt les démarches nécessaires et vous tiendrai au courant, mais je crois que cela ne tardera pas tout de même. Je n’ai reçu aucun colis des tantes et j’ai peur qu’il a eu le même sort que les lettres. Enfin, demain je vous donnerai quelques renseignements. Dites à ceux qui m’ont écris que je leur répondrai un de ces jours. Je termine , chers parents, et croit vous en avoir assez dit pour aujourd’hui. Mes meilleures amitiés aux amis, en particulier un gros baiser à la petite Noëlie et à ces chères grand-mères, surtout qu’elles ne s’inquiètent pas. Au cher petit frère, j’espère qu’il travaille peut-être un peu trop et suis heureux, papa aussi d’ailleurs, de la savoir parmi vous. Qu’il reçoive, ainsi que cette chère maman, qui j’espère doit penser continuellement à moi, ainsi que cette bonne grand-mère et enfin tous les parents, les plus tendres caresses de celui qui pense souvent à vous. J’écris en même temps à papa qui m’écrit lui aussi très souvent écrivez toujours à la même adresse.” GABRIEL

 

26° HESTRUS (Nord) le 29 JUIN 1915

“Mes bien chers parents, comme je vous l’écrivais dans ma dernière lettre, nous avons quitté le bois de Noulette où nous étions au repos. Nous nous trouvons actuellement à 60 Km de la ligne de feu. Nous sommes cantonnés dans un petit village de 400 habitants, mais croyons partir encore plus en arrière. J’ai réussi à être logé chez de braves gens qui sont très aimables pour nous. A l’heure ou je vous écrit il est midi, nous venons de manger la soupe et une salade chez cette bonne femme. Peut-être trouverez vous que mes dépenses sont exagérées; mes chers parents, nous buvons matin et soir notre demi-litre de lait, d’ailleurs il n’est pas cher, 5 sous le litre. Nous avons beaucoup de paille et j’ai passé une nuit comme il y avait longtemps que je n’avais pu en passer. Nous sommes toujours contents et en bonne santé. Hier soir nous avons passé la soirée avec Lormand et un camarade de Montpellier, qui se trouve dans la même escouade et qui est à mes côtés, inutile de vous dire qu’on ne s’en fait pas et avec quel bonheur nous goûtons ce repos si bien mérité. J’ai reçu, hier soir, une carte de Maman qui m’a bien fait plaisir de vous savoir tous en bonne santé, de même j’ai reçu beaucoup de vos lettres et notamment celles d’Alphonse. Maintenant pour les lettres qui ont été retournées, j’ai fait toutes les démarches et ce soir le fourrier me les remettra sûrement. Je saurai vous le dire demain et de même pour le colis des tantes. Louis m’a écrit et je voudrais bien lui écrire mais envoyez moi son adresse. Dans ma dernière lettre je vous disais que je vous raconterai mon premier baptême du feu, bien que ce cauchemar soit si horrible et que je n’aime pas trop en causer car cela me rappelle combien la guerre est une terrible chose. Je vais aujourd’hui vous raconter ce début.

Le commandant de la compagnie nous réunissait le 17 au soir et nous communiquait que la compagnie devait attaquer le soir même, à minuit. On fit tous les préparatifs et à 10H00 nous partions pour aller faire notre devoir. La mission que nous avions à faire était très dangereuse, car il nous fallait attaquer en terrain découvert, malgré tout nous avions tous grand courage. On s’engage tout d’abord dans une série de boyaux, et cela dura ainsi plus d’une heure; et tout à coup, nous débouchons en terrain découvert à 300 mètres des boches; la vision fut épouvantable, des morts jonchaient le sol, on leur marchait dessus, c’était terrible. On fait mettre baïonnette au canon et aussitôt notre capitaine crie: En avant, à la baïonnette ! Vous dire ce qui se passe chez chacun d’entre-nous, on ne peut le croire, on oublie tout et, comme des fous, on s’élance en avant, car chacun fait son devoir !

A 100 mètres de leur tranchée, les boches nous ont aperçu, je les vois encore faisant feu sur nous, leurs mitrailleuses fauchaient beaucoup des nôtres et la mort sifflait constamment à nos oreilles. Malgré tout nous avançons et, dans un dernier effort, arrivons sur le bord de la tranchée boche. Ce qui se passa à ce moment, c’est horrible ! Je fonçais sur un boche et tombe dans la tranchée, étourdi tout d’abord par la chute, je revenais ensuite à moi et la tranchée était à nous. Nous pleurons, chers parents, de joie, on s’embrasse et on se demande comment on est encore là ! Enfin tout cela était passé, il fallait s’organiser et construire des abris, car l’artillerie commençait à nous bombarder. On sortit les morts et l’on commença à travailler. Jusqu’au matin tout alla bien car l’artillerie ne pouvait pas trop nous voir. Mais au lever du jour, commença le bombardement le plus terrible qu’on puisse voir, et cela dura ainsi 48 heures, sans rien manger. Ah ces minutes vécues chers parents! Je ne puis y penser sans frémir, les obus éclataient à côté de nous, dans la tranchée même, alors se passaient des scènes et des visions atroces que jamais je n’oublierai. Enterré deux fois par la terre que projetait l’obus en éclatant, mon fusil et mon sac réduits en miettes, j’eus le bonheur, grâce à Dieu, de sortir de cet enfer sain et sauf. Les jours suivants le bombardement fut moins violent et nous avons tout de même lancé deux attaques, toujours de nuit. Elles ont été très bien réussies, et nos pertes furent faibles, car les boches fuyaient à notre approche, mais nous n’avons pu aborder l’ennemi.

Par conséquent, chers parents, vous pouvez comprendre qu’après avoir vécu ainsi , on éprouve un bien grand plaisir à se reposer. Excusez-moi si je vous rappelle tout ces  tristes souvenirs, car ma lettre vous paraîtra trop monotone, demain je vous écrirai encore et vous prie d’embrasser tout le monde de ma part. Mille caresses pour vous mes bien chers parents.” GABRIEL

 

27°, SECTEUR 116 , HESTRUS , 2 Juillet 1915

“Mes bien chers parents, j’ai reçu beaucoup de vos lettres, et hier soir j’en recevais une datée du 27  Inutile de vous répéter quel plaisir j’éprouve à les lire et combien est grand mon contentement de vous savoir en bonne santé ainsi que ce cher papa. Vous avez, me semble-t-il beaucoup d’inquiétudes au sujet de l’argent et des colis, et bien chers parents, pour l’argent je n’ai reçu que 10 F et il y a déjà plusieurs jours. Pour le reste je crains beaucoup que ce soit perdu. Par conséquent dorénavant, lorsque vous m’enverrez de l’argent, envoyez le par lettre recommandée. Ne croyez pas, tout de même, que je sois sans un sou, je possède encore 25 francs et si je ne reçois rien, j’en demanderai à Lormand ou Jalabert . Pour les colis, je n’ai reçu que celui de maman, et les autres deux qui sont, paraît-il, en route ne m’ont pas été encore remis; je vous ferai savoir dès que je les aurai reçus. Pour moi, chers parents, ma santé est excellente, dans le village où nous sommes on mange bien, nous buvons beaucoup de lait, et de même les oeufs sont bon-marché, seul le vin est très cher, 18 sous le litre, et on est obligé de boire de la bière. Je vous écrit, il est midi, et nous venons de manger le rata. Chaque soir nous avons concert, par la musique de notre cher régiment. Nous avons passé la soirée avec Lormand, Jalabert et d’autres amis et on ne s’est pas inquiétés. La promenade terminée , nous allons à l’église où, chaque soir, il y a cérémonie, avec chants et prédication. L’église était pleine et c’était vraiment impressionnant de voir cette foule de soldats priant et chantant de tout coeur et avec grande confiance. Ce soir nous devons nous retrouver encore tous ensemble et nous ferons comme hier. Nous sommes toujours au repos et encore pour un certain temps. Changerons-nous de secteur ? Certains prétendent que oui, nous le souhaitons tous, car ici c’est un véritable carnage, et ceux qui auront vu les champs de bataille dans le nord d’Arras pourront vous le dire, plus tard. Enfin ayons confiance et au cas ou nous devrions rester ici, n’oubliez pas que le 158° est depuis le début de la guerre dans les actions les plus périlleuses, sachez qu’on ira avec grand courage. Evidemment les deux dernières lettres que je vous ai écrites ont pu vous paraître un peu tristes, cela je le comprend, chers parents, mais voyez vous, ces jours passés en première ligne avaient été si terribles, que j’ai cru ne pas devoir vous le cacher. Enfin, tout cela est passé et plus que jamais nous avons toujours bon courage et espoir. Evidemment, mon baptême du feu a été si brusque que j’ai été un peu surpris. Maintenant je peux vous dire que nos pertes sont minimes à côté de celles des boches. Ah c’est incroyable ce que notre grosse artillerie et nos 75 surtout, leur causent des pertes et leur font peur !

Nous faisons beaucoup de prisonniers, la compagnie de Jalabert a fait 250 prisonniers, et il y a une heure il vient d’en passer autant ici où nous sommes. Je vais vous apprendre, chers parents, la mort du commandant Chazals, qui, lorsque vous le connaissiez, était capitaine. Je l’avais déjà vu ainsi que son fils, ici sur le front, car il commandait le 3° bataillon. J’ai pu obtenir quelques détails sur sa mort, car Jalabert l’a vu sur son brancard, lorsqu’il venait d’expirer. Son bataillon devait attaquer le soir; à l’heure fixée, il saute sur le parapet, entraîna ses hommes à l’assaut et parvient à prendre la tranchée boche. Et ce n’est qu’après avoir ainsi exposé sa vie, sans aucune blessure, ce n’est qu’après s’être retiré dans un abri en arrière et alors qu’il se trouvait en réunion avec ses officiers, c’est alors qu’une marmite éclata sur la cabane et le tua ainsi que son entourage. Voilà, chers parents, à peu près tout, je vous écrirai encore demain et j’écris en même temps à papa. Bien le bonjour aux amis, embrassez bien tous les parents pour moi, pour vous mes bien chers parents recevez les plus tendres caresses d’un fils qui pense à vous. Un gros baiser à ma petite cousinette Noëlie, et je n’oublie pas aussi les grand-mères.”

GABRIEL

 

28°, HESTRUS le Samedi 3 Juillet 1915

“Mes bien chers parents, A la hâte, je vous écrit ces quelques mots, car il est 5 heures et la soupe va arriver. Ce matin, nous avions revue, par le général Maistre commandant le 21° corps d’armée. Pour la première fois, nous avons pu voir le drapeau de notre cher régiment et, musique en tête, nous avons défilé devant lui. Nous étions de retour à 13 heures et aussitôt après dîner, j’ai roupillé jusqu’à 16 heures. C’est curieux, chers parents, moi qui ne pouvais me reposer à La Boissière dans l’après-midi, je dors ici admirablement bien, et me réveille toujours frais et dispo. C’est dire que cette vie au grand-air me fait beaucoup de bien et ma santé est aujourd’hui florissante. J’ai un appétit féroce et ne m’inquiète pas. A mon réveil le sergent m’a envoyé au vaguemestre où l’on m’a remis le colis de maman, contenant les 7 francs, jambon, foie gras, alcool de menthe, camphre et aussi le billet m’apprenant que vous étiez en bonne santé. Tout cela m’a fait plaisir, chers parents, et je vous remercie de tant d’attentions pour moi. Ici il fait un temps admirable, après la soupe nous allons assister au concert et ensuite à l’église. De retour, avant de nous coucher, nous buvons notre demi-litre de lait bien trempé avec du pain. Le matin c’est pareil. Ainsi donc, chers parents, plus que jamais nous voilà tranquilles et contents, par conséquent, pas d’inquiétude car, nous, on ne s’en fait pas. Le rata arrive, je termine, mes amitiés aux amis, mille bons baisers à la petite Noëlie, aux grand-mères, aux parents. Pour vous, chers parents, recevez mes plus tendres caresses. J’écris aussi à papa.”

GABRIEL

 

29° HUDENS le 3 Juillet 1915

“ Mes très chers parents, Aujourd’hui Samedi, il est huit heures et demi du soir, nous venons de rentrer au cantonnement et venons d’assister à la bénédiction. J’y ai rencontré Marius Souveyran et nous devons nous voir encore demain à 11 heures pour la messe. Je profite de ce que la patronne nous prépare le lait pour vous adresser ces quelques mots. Ma santé est excellente, et une carte et une lettre de vous, que j’ai reçu cet après midi, m’a bien fait plaisir de vous savoir tous bien-portants, papa aussi m’a écrit et lui est content et en bonne santé. Jean m’a écrit et je vous assure qu’il peut s’estimer heureux, il m’écrit que dans son secteur c’est calme et qu’il n’a jamais attaqué. Quelle différence avec nous ! D’après les nouvelles qui nous parviennent il parait que la lutte continue, terrible, et que nuit et jour c’est un vrai ouragan de fer et de feu. Je crois bien, chers parents, que nous n’aurons pas le bonheur de quitter ce maudit secteur et qu’il faudra que le 158° aille encore s’illustrer sur les crêtes de Lorette et plus loin. Enfin, j’ai bon courage et bon espoir et lorsque l’heure du départ sonnera elle me trouvera tout prêt. Actuellement, nous goûtons avec un bien grand plaisir ce repos. Je vois régulièrement Lormand et Jalabert, eux aussi sont en bonne santé et souhaitent que cela dure le plus longtemps possible. Je termine chers parents, je vous écrirai encore demain. Mes meilleures amitiés aux amis, mille baisers aux grand-mères à la petite Noëlie, et à tous les parents. Recevez les plus tendres caresses de celui qui ne vous oublie pas. J’écris en même temps à papa.”

GABRIEL

30° FOSSE 10 le 6 Juillet 1915

“Mes bien chers parents, vous serez certainement surpris de recevoir cette lettre car, lorsqu’elle vous parviendra, vous saurez déjà que nous nous trouvions au repos très en arrière et probablement pour un mois. Oui, chers parents, après l‘effort formidable qu’avait fourni le 158° le colonel avait demandé un repos, pour nous, jusqu’au 28 Juillet. Satisfaction lui fut accordée et nous goûtions cette tranquillité avec un bien grand plaisir. Hier matin, nous étions allé au champ d’exercice chaque jour nous allions faire des jeux pour nous distraire, lorsque le lieutenant de la compagnie recevait l’ordre de rentrer immédiatement. Nous arrivions au village à 10 heures et à midi et demi, des autos nous prenaient, tout le régiment, et nous transportaient toujours au même endroit, dans le même secteur. Actuellement il est huit heures et nous nous trouvons à la fosse 10 qui est pour ainsi dire en 3° ligne. Nous campons dehors sous des tentes et nous venons à l’instant de manger de bon appétit: une boîte de singe et un morceau de jambon. Pourquoi ce départ précipité chers parents ? Nous n’en savons rien! Les gradés ont été aussi très surpris et malgré l’ennui que cela nous causait à tous, car c’est toujours le 158° qui marche le premier, on est résignés. Nous attendons d’heure en heure notre départ pour les premières lignes, allons nous attaquer et reprendre certaines tranchées que le régiment qui nous a remplacé s’est laissé prendre ? Mystère, et je crois que l’on ne tardera pas à être fixés. La nouvelle du départ de hier matin a été des plus fâcheuses, en effet, nous voyons ici des régiments qui ont un mois ou deux de repos, alors que le 158°, qui a toujours lutté en première n’a pu avoir 15 jours; et la preuve en est cette fois-ci , lorsqu’il y a une mission dangereuse ou un coup de collier à donner c’est toujours nous. Enfin, chers parents, malgré tout on se résigne. Ma santé est excellente, et suis toujours content, malgré que mon baptême du feu a été terrible, je me sens beaucoup de courage et grand espoir. Croyons, chers parents, que c’est notre grande confiance en Dieu qui nous donne cette force de volonté que jamais je n’aurais cru avoir. Ainsi donc puisqu’encore il faudra affronter les boches, nous irons sans peur, par conséquent tranquillisez-vous et conservez bon espoir, je partirai pour les tranchées plein de santé et pourrai fournir l’effort qu’on nous demandera. J’ai reçu hier votre lettre contenant 5 francs, ainsi que des nouvelles de papa et je suis heureux de vous savoir en bonne santé, de même j’ai été heureux de savoir que ce cher frère travaille à la journée, surtout je crois inutile de vous dire de le soigner et qu’il sache bien que je pense souvent à lui et qu’un de mes plus doux moments est d’admirer la photographie où nous sommes en groupe ainsi que celle de ce cher vieux. J’ai appris par les journaux que dans l’Hérault les vignobles souffraient beaucoup, et je crois bien qu’à La Boissière vous devez être éprouvés. J’ai vu Lormand ce matin car étant dans le même bataillon on se suit continuellement. Voilà à peu près tout, chers parents, je vous écrirai autant que cela me sera possible. Aux amis bien le bonjour, à la petite cousinette qui ne m’oublie pas ainsi qu’à ses chères grand-mères, mille bons baisers. Aux parents, embrassez-les tous pour moi, pour vous recevez mes plus tendres caresses, votre fils qui pense toujours à vous. J’ai écrit à Louis et en même temps à papa, ici le temps est très nuageux.”

GABRIEL

 

31° SECTEUR 116 le 6 JUILLET 1915 Les tranchées

à 10 heures du matin

 

“ Mes très chers parents, Nous voilà depuis hier soir à 10 Heures en 3° ligne, assis dans mon abri creusé sous terre, car il est bien vrai que nous vivons à la manière des taupes, mes deux genoux me servant de pupitre, je profite d’un instant ou les boches nous laissent un peu tranquilles pour vous adresser ces quelques mots. Que vous dire, chers parents, sinon que ma santé est excellente, et que j’ai un appétit formidable. Nous sommes tous contents et on ne s’en fait pas malgré que les marmites qui nous recouvrent de terre nous obligent parfois à nous faire petit et à nous taire. Nous espérons rester ainsi pendant deux ou trois jours, ensuite ce sera notre tour d’aller relever les copains qui se trouvent en première ligne. Attaquerons-nous ? D’après ce que l’on raconte non. Nous nous tiendrons sur la défensive, car les boches attaquent 2 ou 3 fois chaque nuit? Vous avez du voir aussi sur les communiqués que, la nuit dernière ils avaient attaqué notre tranchée de première ligne. Ils avançaient en colonne par quatre, mais nos mitrailleuses et nos Lebels ont fait une hécatombe et aucun ne sont sortis vivants. Après les jours que nous passerons en première ligne, nous resterons en arrière pendant 4 ou 5 jours, et ensuite ce sera, je crois, le repos. Enfin qui vivra verra, et nous attendons tous avec grande confiance. Je vous écrirai demain si ce soir on m’a remis une de vos lettres ou des colis. Maman semble s’inquiéter pour la nourriture? Et bien soyez rassurés car, à moins d’être exposés dans des situations compliquées ou de se trouver en première ligne, comme lors de la dernière attaque ou on n’a pas un moment de repos, sans cela nous sommes bien ravitaillés. Je termine, chers parents, en vous priant de donner bien le bonjour à tous les amis et d’embrasser tous les parents, pour moi, et en particulier ces braves grand-mères, et ma petite Noëlie qui ne m’oublie pas. Pour vous , mes biens chers parents, recevez mille baisers fous, de celui qui ne vous oublie pas. J’écris en même temps à papa. Nous avons passé toute la journée d’hier avec Lormand.”

GABRIEL

 

32° SECTEUR 116 le 7 JUILLET 1915

“Mes bien chers parents, Hier soir le sergent m’a remis votre lettre ainsi qu’une carte de Louis Sourzac. Toujours content de vous savoir en bonne santé, ainsi que ce cher papa. Pour moi il en est de même, et ce soir nous allons relever en première ligne. Cette nuit encore les boches ont attaqués, mais comme à l’habitude ils ont été fauchés. Louis Sourzac m’écrit qu’il vient dans notre secteur, sa carte m’a bien fait plaisir et je lui ai répondu ce matin. Inutile de vous dire quelle serait ma joie si l’on pouvait se voir, d’ailleurs je ferai tout mon possible pour le trouver, dès que je saurai que son régiment se trouve par là. Sur la lettre de maman j’ai vu qu’elle n’avait point reçu encore ma lettre lui annonçant la mort du commandant Chazals, j’ai même vu sa tombe dimanche au soir à Sains où il est enterré. Jalabert est toujours en bonne santé, c’est un autre Jalabert, de Loupian, qui est disparu depuis l’attaque et que d’après ce que nous avons pu savoir, a du être tué. Je termine et vous écrirai le plus souvent possible. Mille bons baisers aux parents, sans oublier ces chères grand-mères ainsi que ma petite Noëlie. Pour vous , chers parents, mes plus tendres caresses d’un fils qui ne vous oublie pas. Jean m’a écrit et me dit qu’ils sont tranquilles, quel veinard!” GABRIEL.

 

33° SECTEUR 116 Le 12 JUILLET 1915 Les tranchées

à 9 heures du matin.

 

“Mes biens chers parents, enfin il m’est possible de vous donner de mes nouvelles, et vous apprendre que ma santé est excellente. Oui chers parents, je regrette d’avoir du vous laisser ainsi 3 jours sans aucune lettre, mais croyez bien que ce n’est pas de ma faute, mais bien de celle des boches, qui, pendant ces journées passées en première ligne ne nous ont pas laissé un moment de répit. C’était, comme d’ailleurs c’est d’habitude dans notre secteur, un véritable enfer. Bombardé jour et nuit, les tranchées mêmes, bouleversées, il fallait rester et surveiller toute la nuit aux aguets et au premier signal, il fallait faire feu. Pendant trois fois les boches nous ont attaqué, mais chaque fois ils se sont trouvés arrêtés par nos Lebels et nos mitrailleuses. Enfin, ce matin, nous étions relevés par le 149° d’infanterie, et vous devez comprendre quel soupir de soulagement on a poussé. Nous nous trouvons actuellement en arrière, comme réserve. Nous sommes dans des anciennes tranchées boches, où de très jolis abris sont aménagés, et où l’on va très bien. C’est de l’un d’eux, où je suis, que je vous écris. Nous recevons bien quelques marmites, mais cela n’est rien en comparaison des premières lignes. Nous devons rester là 3 jours et ensuite nous irons bien plus en arrière, au repos, pour reformer la compagnie, car inutile de vous dire que, sous cette pluie d’obus, il y a toujours des pertes; d’ailleurs rien que dans notre compagnie nous avons 46 tués ou blessés. Enfin cette fois encore m’en voilà sorti sain et sauf. Je n’ai pu voir Lormand et Léon Jalabert et ce ne sera qu’au repos qu’on pourra se rencontrer. Maintenant, chers parents, laissez moi vous dire que hier j’ai reçu une de vos lettres, datée du 6 courant. J’ai été très heureux de vous savoir en bonne santé et pour moi pas d’inquiétude, malgré que nous frôlions à chaque instant la mort, cela ne nous enlève pas notre gaîté et aujourd’hui on s’y habitue, malgré que notre secteur soit le plus mouvementé qu’il y ait. Nous allons aller au repos pour quelques jours et vous assure que j’en profiterai et ne m’inquiéterai pas. De même on m’a remis ce matin le colis contenant: boîte de saumon, saucisson etc… Merci, chers parents, de tant d’attention et croyez bien qu’à l’heure de la soupe on fera honneur à ce gentil petit envoi. J’ai reçu ce matin une lettre de Loupian, me demandant des nouvelles de François Jalabert, tout ce que je puis dire est qu’il est porté disparu à la compagnie, et d’autres preuves que je leur expliquerai, permettent de croire qu’il a été tué pendant le bombardement après la fameuse attaque du 22. Je lui répond en même temps qu’à vous, et de même j’écris à papa pour le rassurer sur mon long silence. Je termine, chers parents, en vous priant d’embrasser tout le monde pour moi, en particulier ces braves grand-mères, et ma petite cousinette Noëlie. Pour vous, bien chers parents, recevez mille baisers fous de celui qui pense toujours à vous.”

GABRIEL

 

 

 

34° SECTEUR 116 le 13 JUILLET 1915

5 heures du soir.

 

“Mes très chers parents, à la hâte car le vaguemestre va partir, je vous adresse ces quelques mots. J’ai reçu hier votre lettre avec le mandat de 20 francs. Merci de cette gentille surprise et inutile de vous dire que comme argent c’est suffisant pour le moment. Ma santé est excellente et suis heureux qu’il en soit de même pour vous. J’écris en même temps à papa. Sommes ici jusqu’à demain-soir et ensuite allons plus en arrière. Mille bons baisers aux parents et en particulier aux grand-mères. Pour vous recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL.

 

35° SECTEUR 116 le 14 Juillet 1915

5 heures du soir

 

“ mon cher petit frère, aujourd’hui , jour de la fête nationale, j’étais en train de manger d’excellents petits-pois frais préparés avec du jambon , lorsque le sergent m’a remis ta gentille carte-lettre ainsi que celle de Laurent. Evidemment j’abandonnais gamelle et tout le fourbi et m’empressait de lire vos correspondances. J’étais, je dois te l’avouer cher frère, ému en lisant ces lignes, car, plus que jamais je comprend combien est grand mon amour pour vous, et ses nouvelles de la maison m’ont fait passer un moment des plus heureux puisque j’ai relu ta lettre trois fois. Aussi, mon cher Alphonse, écrit moi le plus souvent possible. Evidemment je comprend que tu n’es pas toujours libre, mais le dimanche matin ou le samedi soir, raconte moi ce qui se passe, pense un peu à ton frère qui pense souvent à toi; tu ne peux croire combien un peu de bonne volonté de ta part me fera plaisir et me rendra heureux. Vous êtes tous en bonne santé, j’en suis très content, pour moi il en est de même, et aujourd’hui nous sommes au repos pour quelques jours. Nous aussi, cher frère, nous avons fêté le 14 Juillet, peut-être plus gaiement qu’à La Boissière. A midi nous avions un excellent rata avec notre litre de vin chacun une confiture et un bon cigare de 2 sous; ce soir nous avions rata aux petits pois frais avec du jambon, un litre de vin et un paquet de cigarettes qui nous a été offert par les Etats Unis. Dans l’après midi nous avions concert et tout le monde était heureux, oubliant les heures terribles qu’on avait passées. Ainsi donc tu vois que notre soirée a été des plus agréables. Je dois te dire maintenant , cher frère, que les boches se rappelleront eux aussi de notre fête nationale. Depuis ce matin, notre grosse artillerie tire effroyablement et doit causer des ravages terribles. Vous avez dû voir aussi que d’après le communiqué ils nous attaquaient avec des bombes asphyxiantes, les obus qu’ils nous ont lancé tout dernièrement, alors que nous étions en première ligne, contenait un gaz qui pique tout d’abord fortement au nez et qui ensuite étouffe. Heureusement on a les masques pour nous protéger et qui nous sont d’une très grande utilité. Maintenant, cher frère, je t’apprendrai que les permissionnaires, car tu dois avoir lu que tous ceux qui se trouvent ici il leur est permis d’aller chez eux pour quatre jours, et bien cher frère, il en part chaque jour et d’après l’ordre d’ancienneté. Tu dois comprendre quel est le contentement de tous ces vieux poilus et je crois bien que Louis sera du nombre et que vous aurez le bonheur de le voir à La Boissière. Je dois vous avoir accusé réception d’un mandat de 20 F ainsi que de la lettre de maman du 9 Juillet et d’un colis contenant deux bouteilles d’eau de noix et limon. Je n’ai pu voir encore Lormand et Jalabert car ici où nous sommes il n’y a que deux compagnies et les leurs n’y sont pas, mais j’espère tout de même les voir un de ces jours. Ici il fait un temps affreux, depuis trois heures il pleut continuellement. J’ai reçu des nouvelles de papa et ce qui me console c’est qu’il ne viendra pas ici au front car nous avons des régiments de territoriaux qui sont ici depuis le début et qui n’ont jamais été en première ligne; ce ne sont que les régiments d’active qui donnent. Remercie Laurent de son aimable lettre et dit lui que je lui répondrai un de ces jours. Je termine et embrassez bien particulièrement ma cousinette Noëlie que je n’oublie pas et surtout ces grand-mères qui j’espère doivent souvent penser à moi. Pour vous, mes chers parents et très cher frère recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

 

36° LETTRE FOSSE 10 le 16 Juillet 1915

“Mes très chers parents, comme je vous l’avais déjà écrit dans ma dernière lettre , nous avons quitté les abris et nous nous trouvons actuellement plus en arrière, au repos pour quelques jours. Que vous dire, chers parents, si ce n’est que ma santé est excellente et que je suis toujours content. Je suis heureux d’apprendre qu’il en est de même pour vous ainsi que pour ce cher papa. Lormand est venu me voir, hier soir, et après avoir soupé ensemble on a passé la soirée en compagnie de tous les amis. J’ai vu de même dans la matinée Marius Souveyran; on a causé longuement ensemble et il m’a appris qu’il allait, le soir même, voir son beau-frère qui est au 281° régiment d’infanterie, et qui se trouve par ici. J’ai appris aussi que Jalabert, m’a dit le sergent, a été blessé mais peu grièvement; que vous dire, chers parents, si ce n’est que dans notre secteur cela ne varie pas. Heureusement, et ce n’est pas trop tôt, on songe à nous protéger le plus possible des obus qui sont plus terribles que les balles et la baïonnette; pour cela le génie construit, actuellement, en première ligne des abris blindés creusés à 5 ou 6 mètres sous terre; dans ses abris où on pourra se loger lorsque tout sera fini, on ne risquera rien des marmites. Ici il fait très mauvais temps et vraiment on ne se croirait pas en Juillet, c’est pire que chez nous au mois de Mars ! Heureusement nous sommes logés dans des maisons ou tout au moins on est à l’abri. Papa m’écrivait hier et comme porte bonheur m’envoyait un joli trèfle à 4 feuilles. Je lui ai écrit pour le remercier, et, le sachant toujours en bonne santé cela me fait plaisir. Je dois vous accuser réception d’un colis des tantes contenant, jambon, conserves, cigares… Inutile de vous dire qu’il a été le bienvenu et que nous lui avons fait honneur; vous ne pouvez croire avec quelle joie on reçoit ces gentils cadeaux. Remercie ces chères tantes de tant d’attention pour moi. Je termine, mes chers parents, en envoyant mille bons baisers aux parents et bien le bonjour aux amis, à la petite Noëlie. Et à ces chères grand-mères une grosse caresse. Et pour vous, mes très chers parents, recevez mille bons baisers. Celui qui pense toujours à vous. J’écris à ce cher papa.

GABRIEL

 

37° LETTRE SECTEUR 116 le 18 JUILLET 1915

“ Mes très chers parents, aujourd’hui Dimanche, je profite de quelques instants de liberté pour vous donner de mes nouvelles. Ma santé est toujours bonne, et je suis bien content. Nous nous trouvons toujours au repos et le lieutenant nous a dit qu’on se trouvait ici jusqu’au 28 de ce mois, dix jours encore à se la couler douce ! Il ne faut pas croire, chers parents, que nous ne faisons rien ! Non! Matin et soir nous allons à l’exercice et avons à passer souvent des revues. Mais croyez bien que cela est encore préférable que d’être dans les tranchées. Hier soir, nous avons passé la soirée avec Lormand, et vous pouvez croire qu’on est heureux d’être ensemble. Il n’a point encore reçu le colis qui contient pour nous deux, dès qu’on le lui remettra il doit m’en aviser. Ce matin je dois aller le voir pour aller à la messe ensemble. Maintenant, chers parents, j’ai à vous demander quelque chose qui vous étonnera peut-être. Et bien voilà, ici au front, malgré qu’on veuille se tenir propre, nous avons tous des poux, bien qu’on change de linge et qu’on se lave, ces sales bêtes ne disparaissent pas, couchant par terre ou sur la paille nous en sommes tous pleins et, matin et soir, nous devons y faire la chasse. Envoyez aussi, et vous trouverez cela aux galeries, une pile sèche pour lampe électrique de poche (force 3 volt 5). Louis m’a écrit et me dit qu’il espère venir à La Boissière passer une huitaine de jours, aux alentours du 15 août. Je m’imagine quel sera votre bonheur lorsqu’il sera parmi vous. Papa m’a écrit hier, je suis toujours content de le savoir en bonne santé. Je termine, chers parents, et vous prie d’embrasser tous les parents pour moi, et bien le bonjour aux amis. Pour vous, bien chère maman , bien cher frère et mes bien chères grand-mères, recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

39° LETTRE  FOSSE 10 le 20 Juillet 1915

“ Mes très chers parents, il est une heure de l’après midi et, bien qu’ayant revue à 3 heures, je consacre quelques instants à vous donner de mes nouvelles. Ma santé est toujours bonne et nous sommes toujours au repos. Je n’ai pas encore reçu avec Lormand, le colis qui nous était destiné, mais nous comprenons très bien le retard si long, causé par cette manière d’envoyer. Chaque soir à 5 heures nous sortons avec les amis et hier soir nous étions en ville lorsque les boches ont commencé à incendier les maisons des alentours; Elles étaient toutes en flamme et le résultat de ces barbares a été deux militaires et une femme tués, 4 militaires , une femme et 2 gosses blessés. Comme vous le voyez, chers parents, nous assistons journellement à quelque triste spectacle et, fatalement, on s’habitue à tout et on contemple, sans s’émouvoir, toutes ces cruautés. Demain nous allons aux douches !

Je vous accusais réception dans ma carte de hier de votre longue lettre qui m’a bien fait plaisir. Embrassez particulièrement ces chères grand-mères et ce cher petit frère, cette chère maman et cette chère cousinette Noëlie. Mille bons baisers à tous les parents, bien le bonjour aux amis. Pour vous mes plus tendres caresse.”

GABRIEL

 

 

38° LETTRE SECTEUR 116 le 21 Juillet 1915

“Mes très chers parents, il est 8 heures du soir, après un souper des plus copieux, je suis sorti avec les amis, et notamment Lormand, avec qui nous ne nous quittons jamais. Et me voilà de retour car à 9 heures nous partons pour aller comme réserve dans les abris où on sera toujours au repos. Nous devons passer deux jours là, ensuite nous revenons ici pour 4 jours, toujours au repos, et ensuite, le 28, départ pour les premières lignes. Voilà ce que nous a dit le commandant de la compagnie. Les premières lignes que nous devons occuper cette fois ci sont, d’après le lieutenant, à 15 mètres des boches, étant si rapprochées, on craint moins les marmites, mais on doit avoir toujours l’oeil ouvert. Toute la nuit, la fusillade crépite d’une tranchée à l’autre, on lance constamment des grenades. De plus nous venons de toucher ce soir un nouveau masque imprégné d’ammoniaque, avec des lunettes, au cas ou l’idée les prendrait, ces sales types, de nous asphyxier. Avec cela nous les attendons carrément et si l’idée les prenait d’attaquer, je crains qu’ils trouvent à qui parler. Ma santé est toujours bonne, demain je vous écrirai encore. Mille bons baisers à tous les parents et en particulier aux grand-mères et à ma petite cousinette Noëlie. Pour vous recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

40° LETTRE SECTEUR 116 Le 22 Juillet 1915

“Mes biens chers parents, hier en vous adressant ma carte-lettre, à la hâte, j’avais oublié de vous accuser réception de la carte de maman, de celle de Laurent et d’une lettre de papa. Toujours heureux de le savoir en bonne santé. Pour moi, je suis toujours content et bien portant comme je vous l’écrivais hier. Je me trouve actuellement à ces abris. Il est neuf heures du matin et après avoir lu le journal, je me fais un grand plaisir de causer un peu avec vous plus longuement, car la soupe va bientôt arriver. Nous n’avons point reçu, avec Lormand, le colis qui nous était destiné; et c’est vraiment contrariant car vous pouvez croire quel plaisir on éprouve à avoir quelques petites provisions pour casser la croûte, soit le matin au lever ou après la soupe. Enfin nous souhaitons que ça ne tarde pas à arriver, car ici, on ne trouve que peu de choses et énormément chères, c’est dire que c’est ruinant. Envoyez moi aussi du papier à lettre, crayon, ainsi que quelques paquets de tabac. Ici fumer c’est une distraction, mais surtout envoyez moi le par la poste. Jean m’a écrit, et me dit que son secteur est tranquille; il m’écrit régulièrement et suis heureux d’avoir de ses nouvelles. Papa m’a écrit, je lui répond en même temps qu’à vous. Mille caresses aux parents, un gros baisers à ces chères vieilles et à ma cousinette Nöelie en particulier. Pour vous recevez mille bons baisers fous de celui qui pense continuellement à vous.”

GABRIEL

 

41° LETTRE SECTEUR 116 le 23 Juillet 1915

“Mes très chers parents, je venais de faire partir ma lettre lorsque, hier, Lormand est venu m’apporter le colis que nous attendions avec si grande impatience. Inutile de vous dire avec quel plaisir on s’est approprié et on a goûté ces bonnes choses. Par conséquent, que maman se tranquillise, nous avons des provisions pour quelques jours. Il est actuellement neuf heures du matin et nous venons de casser la croûte. Nous sommes libres toute la journée et devons être relevés ce soir. Je crois vous apprendre, chers parents, une chose qui vous étonnera, certes, et que vous ne croiriez pas si vous le lisiez sur les journaux. Hier soir, à huit heures trente, à quatre kilomètres des premières lignes, au son des canons qui tonnaient à côté de nous, nous avons assisté à une séance cinématographique pittoresque et des plus intéressante. La place me manque pour vous raconter tout cela, qui ne se raconte pas sur une lettre, d’ailleurs, mais de vive voix. Réservons tout cela pour un peu plus tard. Ici il a plu toute la journée et toute la nuit et le ciel est nuageux. Mille bons baisers aux parents et en particulier aux grand-mères et à ma petite Nöelie. Pour vous, mes très chers parents, recevez mille caresses de celui qui ne vous oublie pas.”

GABRIEL

 

42° LETTRE SECTEUR 116 le 24 Juillet 1915

“Comme je vous l’écrivais hier, nous avons quitté où nous étions en réserve, et nous nous trouvons plus en arrière, à la Fosse 10. Nous sommes arrivés ici ce matin à deux heures, toujours bien-portants et en bonne santé. Ce matin on a fait la grasse-matinée et venons de manger la soupe. Chaque jour on se voit avec Lormand et, ce soir, nous devons manger ensemble le cassoulet que vous m’avez envoyé, une salade et des fruits. Vous voyez que l’on ne s’inquiète pas trop ! Ici il pleut depuis ce matin huit heures sans discontinuer, et vraiment on ne se croirait pas en été. J’espère que ma lettre vous trouvera tous en bonne santé. Bien le bonjour aux amis, mille baisers aux parents en particulier un gros baiser aux chères vieilles Finou et Rose et à ma cousinette Nöelie. Pour vous, biens chers parents, recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

43°LETTRE SECTEUR 116 le 25 Juillet 1915

“ Mes très chers parents, aujourd’hui dimanche, nous arrivons du champ d’exercice, où nous avons fait quelques expériences de lancement de grenades. Ma santé est toujours bonne et suis toujours content. Hier j’ai reçu une carte de papa qui m’a bien fait plaisir, je lui écrit en même temps qu’à vous. Je termine car la soupe va arriver, bien le bonjour aux amis. Embrassez tous les parents pour moi et une grosse caresse aux chères grand-mères et à ma cousinette Nöelie. Pour vous bien chère maman, bien chère grand-mère, bien cher frère, mille baisers de celui qui pense toujours à vous.”

GABRIEL

 

44°LETTRE SECTEUR 116 le 26 Juillet 1915

“Mes très chers parents, hier je recevais la carte de maman qui, vous n’en doutez pas, m’a fait plaisir; de même j’eus une agréable surprise en recevant la photo de ce cher papa. Ah vous ne pourriez croire la joie et le bonheur que j’ai éprouvé à contempler ce cher vieux, si jeune et plein de santé. Je la fis voir à Lormand, et les copains voulurent aussi la voir, et je n’obtins que satisfaction car, tous, on trouve ce cher vieux superbe, et à la tête sympathique. Vous pouvez comprendre que tout cela fait plaisir. Je suis heureux de savoir que vous êtes tous en bonne santé et de savoir, aussi, par l’intermédiaire de papa, que ce cher petit frère travaille chaque jour vaillamment. Pour moi ma santé est excellente, et sommes au repos jusqu’à demain soir, et ensuite il faudra aller revoir les boches. Enfin on a toujours bon espoir et bon courage. Chaque soir nous sortons avec Lormand. Je termine car la place me manque. Milles bons baisers aux chères vieilles et à ma cousinette Noëlie. Embrassez tous les parents pour moi, et pour vous recevez mes meilleures caresses.”

GABRIEL

 

45° LETTRE SECTEUR 116 le 27 Juillet 1915

“Bien chers parents, toujours content et en bonne santé, nous venons de manger la soupe, et je profite d’un moment de tranquillité pour vous donner de mes nouvelles. Nous ne montons en première ligne que demain, le bruit court que le régiment attaquerait, mais rien d’officiel, et je vous dit cela sous toute réserve. Ce matin à six heures les boches ont commencé à bombarder la mine à proximité de laquelle nous sommes; comme à l’habitude: 2 tués et 6 blessés. Bien le bonjour aux amis, un gros baiser aux chères grand-mères et à la Titassa. Embrassez tous les parents pour moi, pour vous bien chère maman, bien chère grand-mère, bien cher frère, recevez milles baisers fous de celui qui ne vous oublie pas. Marie-Rose m’a écrit, j’écris en même temps à papa.”

GABRIEL

 

46° LETTRE SECTEUR 116 le 28 Juillet 1915

“Mes très chers parents, il est neuf heures du matin et venons de l’exercice; je profite en attendant la soupe pour vous donner de mes nouvelles, qui comme toujours sont fort bonnes. Ma santé est excellente car je mange bien et dors bien, et le principal est que je ne m’inquiète pas. Chaque jour on se voit avec Lormand et passons la soirée ensemble. J’ai reçu hier votre colis contenant la lampe électrique et la pile, des gâteaux et le pâté. Je n’ai qu’à vous dire merci, et vous accuse réception de la lettre de maman où les détails qu’elle me donne m’ont bien fait plaisir. Vous vous doutez que ces lettres des parents sont celles que je relis avec le plus de plaisir. Ce que je vous demanderai ce sont des nouvelles de Louis Négrou et son adresse. Notre Louis m’écrit régulièrement et Marie-Rose m’a écrit ces jours-ci. J’aimerais bien avoir des nouvelles de papa. Nous avons revue à quatre heures en tenue de campagne, et ce soir, à la nuit, pareils à des oiseaux nocturnes, nous monterons aux premières lignes. Enfin je ne m’en fait pas et conserve toujours bon courage, bon espoir et grande confiance. En attendant, je vais avec les amis, goûter au colis que je reçois en même temps que ta lettre. Je termine en envoyant milles bons baisers aux chères Finou et Rose et à ma cousinette Noëlie. Embrassez tous les parents, pour toi, reçoit cher frère ainsi que cette chère maman mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

47° LETTRE SECTEUR 116 le 28 Juillet 1915

“ Bien cher frère, il est trois heures et l’on vient de me remettre ta gentille lettre. Inutile de te dire quel plaisir j’ai éprouvé à te lire et combien j’ai été aussi heureux de prendre connaissance des quelques lignes de cette chère grand-mère. Remercie la pour moi et, si elle ne m’oublie pas, dis-lui que moi aussi je pense toujours à cette chère Finou. Ces quelques mots m’ont fait passer un bon moment, et laisse moi te remercier aussi pour le gentil petit billet que tu m’envoies et qui, tu peux le croire a été le bien venu. Pour la bague, je ne puis te l’envoyer encore, et ce ne sera que dans une dizaine de jours, c’est à dire de retour des premières lignes, que je t’enverrai ce souvenir boche. Suis toujours en bonne santé. Louis Sourzac m’a aussi écrit et il me dit qu’il regrette de ne pouvoir venir dans mon secteur. Jean me donne régulièrement de ses nouvelles, et, chers parents, je voudrais bien répondre à tout le monde mais cela m’est impossible pour le moment. Ici, ce soir, nous montons aux premières lignes. Oui chers parents, le repos est terminé ! Et ce soir on va revoir les boches à trente mètres de nous ! Inutile de vous dire qu’on ne s’en fait pas plus pour cela, et comme à l’habitude, je conserve grande confiance, bon courage et bon espoir. Il serait très possible que de 2 ou 3 jours il ne me soit pas possible d’écrire, peut-être d’avantage, je n’en sait rien. Mais ne vous effrayez pas si de quelques temps mes correspondances ne sont pas régulières; car ici, chez nous, ce n’est pas comme dans d’autres secteurs. Constamment, nuit et jour, il faut veiller. Enfin toujours pas d’inquiétude à ce sujet. Maman me dit que ma cousinette Noëlie n’oublie pas son cousin, moi non plus, et je suis bien content de savoir qu’elle se trouve souvent auprès de cette chère maman. Pour terminer au sujet des galons, dernièrement après les premières lignes, j’étais proposé par le sergent comme caporal; mais le lieutenant a dit que je ne connaissais pas encore assez les boyaux et qu’il préférait nommer un ancien. Croyez bien d’ailleurs que cela n’est pas le rêve d’être caporal ici, mais il faut y passer. Enfin tout cela est secondaire et ne m’inquiète pas. Je termine car la place me manque. Bien le bonjour aux amis. Embrassez bien tous les parents et en particulier ces chères grand-mères à qui je pense souvent. Pour vous ma bien chère maman et bien cher Alphonse, recevez mes plus tendres caresses.”

 GABRIEL

 

48° LETTRE SECTEUR 116 Le 1° Août 1915

5 heures du matin

“Des premières lignes, recevez mes plus tendres caresses” GABRIEL

 

49° LETTRE SECTEUR 116 Le 6 Août 1915

“ Mes très chers parents, à la hâte je vous adresse ces quelques lignes. Vraiment je voudrais vous écrire plus longuement car j’aurais des pages et des pages à vous envoyer, mais vous m’excuserez si aujourd’hui je suis bref, car pendant ces huit jours que nous venons de passer, nous n’avons presque pas dormi ; aussi sommes-nous éreintés. Nous sommes tous fatigués, et après avoir cassé la croûte, je vais me reposer toute l’après-midi et toute la nuit. Nous nous trouvons au repos, et sommes arrivés ce matin en auto, nous sommes ici pour une quinzaine de jours, mais nous ne remonterons aux tranchées avant vingt ou vingt-cinq jours. Demain je vous écrirai longuement et je vais roupiller jusqu’à je crois demain matin. Mille bons baisers à tous, et pour vous mes très chers parents en particulier, mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

50° LETTRE: EPS Le 7 Août 1915

 » Mon très cher frère, comme je te l’écrivais hier, c’est des pages et des pages que j’aurais aujourd’hui à t’envoyer car vraiment pendant cette huitaine de jours on a vu beaucoup de choses. Mais malgré toute ma bonne volonté, je ne peux trop te donner de détails, car le temps me manque, et ce sera pour plus tard et de vive voix que je te réserve tout cela.

Enfin, aujourd’hui sachez d’abord que nous sommes au repos depuis hier dans un petit village à trente kilomètres en arrière du front. Le patelin en lui même n’a rien de bien beau, mais la campagne est très belle car il y a beaucoup de prairies et de céréales. Nous sommes logés dans une remise, tout au moins on est à l’abri, avec beaucoup de paille pour se coucher. Ainsi donc nous étions relevés avant‑hier à 10 heures, et aussitôt nous partions prendre les autobus, plus en arrière, qui devaient nous transporter ici. Après avoir cheminé toute la nuit nous arrivions à destination et embarquions à cinq heures du matin. Le voyage a été des plus agréables; ah oui cher frère, j’aimerais que tu puisse voir ne serait‑ce que l’arrière du front, tu en serait émerveillé ! Tu rencontrerais des convois de 350 à 600 autos, transportant des troupes, tu verrais toutes sortes de races: des noirs, des indous, des anglais et que sais‑je encore ! Cela seul vaut la peine d’être vu surtout par ici. Dois‑je te causer de ces journées en première ligne ? Je crois cher Alphonse que quelques détails te feront plaisir. Et bien, exactement, nous sommes restés huit jours en face de ces sales boches. Comme tu as pu le voir sur les communiqués, nous nous sommes emparés d’une tranchée, et c’est le 158° qui a attaqué mais ce n’a pas été notre compagnie. Régulièrement, nous n’avons pas séjourné en première ligne, non cette fois‑ci nous avions pour mission de travailler et de fortifier, chaque nuit. Pendant le jour nous nous retirions en deuxième ligne. Mais combien pénible a été notre tache, tu peux te l’imaginer ! Et la meilleure preuve a été les félicitations obtenues par le 158° pour la belle endurance de ses troupes pendant cette période. Oui, cher frère, chaque jour à la nuit tombante, nous partions sous les obus, les bombes, les grenades et sous la pluie; car il fait ici très mauvais temps. Nous allions et devions travailler entre nos premières lignes et celles des boches; si près parfois qu’on les entendait causer. Travail lui aussi très pénible, car il fallait travailler sans être vu, sinon c’était une avalanche de grenades et de bombes et une pluie de balles qui t’arrivait dessus. Comme tu peux t’en douter c’était très pénible, et il a fallu le bel exemple de nos officiers, qui je t’assure sont admirables de courage et ne craignent pas la mort. Cela nous a permis de fournir cet effort. Ah oui, tu apprendrais alors à te coucher et à te traîner; l’état dans lequel nous étions était pitoyable, à tel point que dans le village ou nous passions notre vue attirait un larme d’attendrissement aux braves femmes qui nous voyaient passer.

Tu comprends maintenant que je me suis levé pour manger la soupe et recouché aussitôt, jusqu’au matin dix heures ou je me suis levé frais et dispo. Actuellement il est deux heures et je t’écris assis dans un pré. Dans une heure nous allons toucher des effets neufs. Je ne voudrais pas, cher frère, que ma  lettre vous effrayât trop, non, ma santé est excellente et je ne m’inquiète pas, et, ce soir, nous devons sortir ensemble avec Lormand. Tranquillisez vous aussi car, chaque fois notre séjour dans les tranchées ne sera pas aussi pénible. On fait tout ce qu’on peut pour nous protéger et, actuellement, en première ligne, le génie vient de nous construire des abris blindés, à 5 mètres sous terre, dans lesquels on est à l’abri des obus. La nuit, seulement, tout le monde doit veiller aux créneaux, car on peut craindre une attaque boche, surtout en étant si rapprochés, parfois 20 mètres les uns des autres. Mais ce que je puis te certifier, cher frère, c’est qu’ils peuvent venir ! Car dans notre tranchée il y a 17 mitrailleuses ! Comme tu vois c’est énorme, et jamais entends‑tu les boches n’avanceront car nous sommes trop bien fortifiés. Mais je crois que de leur côté c’est pareil. Enfin comme conclusion de tout ceci, sache, mon cher frère que j’ai conservé grande confiance, bon espoir et bon courage. Laisse moi maintenant t’accuser réception de vos lettres, car j’en ai reçu 6 . Hier au moment d’embarquer j’en ai reçu une de toi datée du 13 Juin et adressée au 149°. Tu vois le retard que ça a mis et hier seulement j’apprenais par la missive la mort de Léon Sauvaire et la blessure d’Aristide Villard. Je recevais en même temps 2 lettres de maman, une datée du 14 Juin adressée au 149° et contenant cinq francs et l’autre du 28 Juillet me donnant beaucoup de détails. J’ai reçu encore, cher frère, le colis et, peut-être entends-tu, jamais je n’ai éprouvé un aussi grand plaisir à en recevoir, car nous étions alors dans les tranchées, il a été le bienvenu et nous lui avons fait honneur avec Lormand. J’ai trouvé aussi dans le colis un écu de cinq francs. J’ai reçu encore 2 autres lettres, une du 2 Août et l’autre du 3, et tu ne peux croire quel plaisir j’éprouve à lire ces longs détails que maman me donne. J’ai reçu aussi la lettre de Marthoune et je lui répondrai ces jours-ci. Papa m’écrit bien souvent je lui écrit en même temps qu’à vous. Je regrette beaucoup, cher frère, de ne pouvoir t’envoyer une bague comme je le croyais, mais je n’ai pas pu cette fois-ci car il faut aller pour cela en troisième ligne où il y a des artilleurs qui en fabriquent. Mais la prochaine fois je te promet de ne pas t’oublier. Je suis très heureux, cher frère, de savoir que grand-mère garde précieusement mon modeste souvenir de Notre-Dame de Lorette. Dis-lui que je ne l’oublie pas, moi aussi, et que pour suivre ses conseils nous allons tous les soirs à la bénédiction. Je suis aussi bien content de savoir que ma cousinette n’a pas oublié la maison. Embrasse-la pour moi et dis-lui que je la trouve jolie sur la photo qu’elle m’a envoyé. Maman me dit que l’oncle Bonniol quittera peut-être Montpellier ? Vraiment c’est fâcheux et c’est n’avoir pas de chance. Avant de cacheter ma lettre, j’ai cru bon de rajouter ces quelques lignes; dorénavant lorsque tu m’enverras des cartes postales, mets-les toujours sous enveloppe. Maman me parle d’un imperméable. Evidemment c’est indispensable et on peut même dire d’une très grande utilité; mais avant de me l’envoyer, attendez. Je consulterai Lormand et nous déciderons quel modèle il faudra nous acheter. Je vous l’enverrai, mais cela ne presse pas. J’ai reçu la photo de la famille Imbert, tout le monde est superbe bien que cette chère tante soit un peu trop sérieuse. Le Mittrounas avec son air rigolo, la Marthoune avec son gentil petit sourire et ma chère cousinette avec sa jolie frimoussette. Tout cela fait un ensemble des plus joli. Mille bons baisers à tous, et croyez bien que je prends plaisir à contempler ces chers parents. Lormand m’a remis les cinq francs que par mégarde il avait cru pour lui. Réflexion faite, cher frère, je t’envoie ma bague, comme sûrement nous ne monterons pas en première ligne avant 25 jours, ce serait un peu trop long. Bien que pas bien jolie, ma bague te fera sûrement plaisir, et tu la gardera d’autant plus précieusement qu’elle est allée sur le champ de bataille. Vraiment je commence à croire que Léa et Denise m’oublient, et je serais bien content de recevoir quelques petites lettres. Je répondrai à Laurent un de ces jours. Je termine car il est 4 heures, je vous écrirai encore plus longuement. Reçois, cher frère, ainsi que vous, chère maman et chères grand-mères, mes plus tendres caresses, mille bons baisers aux parents. J’ai reçu d’autres lettres dont je ne puis vous accuser réception aujourd’hui.”

GABRIEL  

 

51° LETTRE SECTEUR 116 Le 9 Août 1915

“Mes très chers parents, une circulaire vient de paraître nous interdisant de donner aucun détails et aucun renseignement. Par conséquent, dorénavant je serai bref. Finies les longues lettres qui vous faisaient tant plaisir, mais vous de votre côté j’espère que vous me donnerez de longs détails. Ma santé est excellente et suis toujours content. Nous avons passé la soirée de hier avec Lormand. Le temps me manque pour être un peu plus long. Mille bons baisers à tous.”

GABRIEL

 

52° LETTRE SECTEUR 116 Le 10 Août 1915

“Mes très chers parents, comme je vous l’écrivais hier, mes lettres seront dorénavant très courtes, car il nous est expressément défendu de donner des détails. Bien que très ennuyeuse pour nous, on est obligé de reconnaître que cette mesure est très juste. Enfin aujourd’hui, laissez moi vous accuser réception de vos colis, un contenant: papier à lettre, encrier, porte plume et quelques amandes. Dans le deuxième, j’ai trouvé des belles tranches de jambon, une boîte de conserve, une plaque de chocolat, un paquet de cigarettes, une boîte de berlingots etc…Inutile de vous dire, chers parents, quel plaisir on éprouve à recevoir ces gentils petits envois, et croyez bien qu’ils sont les bienvenus, car chaque fois on leur fait honneur. Ce matin j’ai reçu une lettre de l’oncle Julien, m’apprenant qu’il quittait La Boissière, de même il me disait que ma cousinette Noëlie faisait beaucoup de prières pour son cousin. Ah oui, je savais qu’elle ne m’oubliait pas et qu’elle m’aime bien; aussi chers parents je vous charge de l’embrasser tous pour moi et dites lui que je ne l’oublie pas. Remerciez maintenant ma chère Léa du gentil paquet de cigarettes qu’elle m’a envoyé et dites lui que cela m’a bien fait plaisir qu’elle ne m’ait pas oublié. Je lui écrirai un de ces jours ainsi qu’à l’oncle Julien. J’ai passé la soirée d’hier avec Lormand, et on ne s’est pas inquiété; ma santé est excellente et suis toujours content. Par conséquent, pas d’inquiétude à mon sujet car ce serait à tord. J’écris en même temps à papa. La soupe arrive, je termine et vous prie de donner bien le bonjour aux amis. Mille bons baisers aux parents, aux grand-mères ainsi qu’aux cousinettes et en particulier à la petite Noëlie mille caresses. Pour vous, bien chère maman, très cher frère et encore à cette chère Finou, recevez milles baisers de celui qui vous aime tendrement.

GABRIEL

 

53° LETTRE SECTEUR 116 Le 11 Août 1915

“Mes très chers parents, c’est à la hâte qu’aujourd’hui je vous écrit ces quelques mots, car il est dix heures et la soupe va arriver. J’ai reçu hier votre lettre qui m’a bien fait plaisir de vous savoir en bonne santé. Pour moi, mes très chers parents il en est de même, toujours bien portant et toujours content. Quant à ce que me demande maman pour la fête du 15 Août, je suis heureux de la rassurer sur ce point là. Qu’elle soit contente et tranquille car, même avant votre lettre j’y avais pensé et en avait fait la promesse. Je n’ai pu voir Lormand hier car il était de garde, mais ce soir je lui en causerai et suis sûr qu’il a les mêmes intentions que moi. Par conséquent pas d’inquiétude à ce sujet. Je ne puis maintenant laisser passer cette belle fête du 15 Août, sans souhaiter à cette chère maman une bonne et heureuse fête. Les souhaits que je fais pour elle, vous devez les comprendre. Je serai toujours content, chère maman de te savoir en bonne santé. J’ai reçu aussi hier soir la lettre d’Etienne, remercie-le pour moi et dites lui que je lui écrirai un de ces jours. La soupe arrive, je termine. J’écris en même temps à papa. Bien le bonjour aux amis, milles bons baisers aux parents, aux grand-mères et en particulier à ma cousinette Noëlie une grosse caresse. Pour vous ma chère maman, ma chère grand-mère, mon cher petit frère, milles baisers fous de celui qui pense constamment à vous.

J’oubliais de vous accuser réception des 5 francs que contenait la lettre.”

GABRIEL

 

54° LETTRE SECTEUR 116 Le 12 Août 1915

“Mon très cher Alphonse, je vois que vraiment tu n’oublies pas ton grand frère, et que lorsque tu as un moment de loisir, c’est à moi que tu penses et à qui tu donnes de tes nouvelles. J’en suis très heureux et la lettre que j’ai reçue hier m’a bien fait plaisir. Je suis content de vous savoir en bonne santé, et de même je te remercie des détails que tu me donnes. Pour moi il en est de même, toujours bien portant, et toujours pas bileux; chaque soir on sort avec les amis et on ne s’inquiète pas. Laisse moi te dire maintenant, cher frère, que depuis cinq jours, je suis vraiment inquiet, car depuis, je n’ai point eu des nouvelles de papa. Rien de lui ! Ce long silence me surprend, cher frère, et je n’y comprend rien, car jamais je n’étais resté aussi longtemps sans nouvelles de lui. Aussi te prierais de me renseigner et de me rassurer par retour du courrier, jamais je n’étais resté aussi longtemps sans nouvelles de lui, car il m’écrivait chaque jour. Ta lettre d’hier m’a un peu rassurée, me disant qu’il vous écrivait régulièrement; mais depuis le 7 Août a-t-il écrit ? Voilà ce que je me demande et à quoi je demande une réponse par retour du courrier. Remercie Léa de sa gentille carte, et un de ces jours je répondrai à tous. Je n’ai rien reçu de Granier mais je lui écris en même temps qu’à vous. Je termine et te prie d’embrasser tous les parents et en particulier ces chères grand-mères et ma cousinette. Pour toi aussi chère maman et chère Finou, recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

55° LETTRE SECTEUR 116 Le 12 Août 1915

“ Mes très chers parents, il est cinq heures et le sergent vient de faire à l’instant la remise des lettres. Comme je vous le disait dans ma dernière missive, j’attendais avec impatience; qu’elle n’a pas été ma surprise et combien a été grande ma stupéfaction lorsque la distribution finie, je me suis aperçu qu’il n’y avait rien pour moi venant de ce cher papa. Vraiment, mon inquiétude est grande, chers parents, et je ne vis plus. Je ne sais à quoi attribuer ce retard de bientôt sept jours. Auriez-vous appris qu’il était malade, chers parents, mais alors pourquoi ne pas me le dire ? Répondez moi par retour du courrier,

 je veux savoir ce qu’il en est ! Avec impatience j’attends cette réponse. Pour moi ma santé est excellente, et pourquoi faut-il que ces soucis viennent gâter mon contentement ?

Mille bons baisers aux parents, pour vous tous, mes très chers parents, et dans l’espoir de vous lire sous peu, recevez mes plus tendres caresses.”

Le 13 août au matin 9 heures

 

“ N’ayant pu faire partir ma lettre hier soir, j’ai cru bon de vous ajouter ces quelques lignes. Hier soir j’ai passé la soirée avec Lormand et lui ai conté mes inquiétudes. Après discussions, nous avons pu admettre que cette circulaire, qui fait que toutes les lettres sont lues, est peut-être la cause de ce long retard de ce cher papa. Mais malgré tout, répondez moi par retour du courrier, de même si ce soir j’avais le grand bonheur de recevoir une lettre, je vous en aviserais aussitôt. Encore une fois mille bons baisers.”

GABRIEL

 

56° LETTRE EPS Le 15 Août 1915

“Mes très chers parents, enfin aujourd’hui il m’est possible de vous donner des détails sur ce que nous faisons, car aussitôt après la première circulaire une deuxième vient de  paraître, nous donnant l’autorisation de cacheter nos lettres. Aussi donc, chers parents, laissez moi vous dire combien a été grande ma joie en recevant hier votre lettre, datée du 10 août, surtout en apprenant que ce cher vieux vous écrivait régulièrement et qu’il était toujours bien portant. Pour moi, je n’ai encore rien reçu de lui, mais je comprends et attribue ce retard à la première circulaire, car il y a des camarades qui se trouvent, ici, dans le même cas. Je suis aussi, chers parents, très heureux de vous savoir en bonne santé et cette lettre a suffi pour me rendre la journée agréable. Aujourd’hui, 15 août, il est huit heures du matin et je vous écrit assis dans un pré. Je viens de casser la croûte, et ce matin a six heures, nous sommes allés avec Lormand et Lacroix de Montpellier, à la messe de six heures, et avons fait la Grande Communion. Je vous l’avais promis, mes très chers parents, vous voyez que j’ai tenu promesse. J’espère que cela vous fera plaisir, et moi de mon côté je suis très satisfait. J’ai pensé à vous, j’ai prié pour vous, de votre côté je suis persuadé que vous en avez fait de même. Nous devons nous revoir cet après-midi avec Lormand, et devons aller aux vêpres ensemble. Vous pouvez voir chers parents, que notre journée s’est passée honnêtement et gentiment. Nous sommes encore au repos et, croyons-nous pour quelques jours de plus; cela prouve que, tout de même, on nous ménage un peu. Nous sommes tranquilles et, du moment que je suis rassuré sur papa,  me revoilà content. Ma santé est excellente et ai un appétit formidable. J’écris à Mr Golfin  et aux amis et de même à papa. Je vous écrirai dès que je recevrai une de ses lettres. Maman me dit qu’Alphonse sulfate chaque jour, je savais bien qu’il travaillait et cela me fait plaisir. Je termine et vous écrirai encore demain. Un gros baiser, en particulier aux grand-mères et à ma cousinette Noëlie, aux parents, mille baisers. Pour vous, bien chère maman, bien cher Alphonse et cette chère Finou, recevez mes plus tendres caresses.

J’avais fait, chers parents, un oubli: plus que jamais les poux nous dévorent, et la nuit on ne cesse de se gratter; par conséquent, envoyez-moi, le plus tôt possible, une poudre qui pourrait nous en débarrasser au moins pendant un mois.”

GABRIEL

 

 57° LETTRE EPS Le 16 Août 1915

“Mes chers parents, j’ai reçu hier votre gentille lettre du 12 août, que j’ai, comme toujours, lu avec grand plaisir. J’ai été très heureux de vous savoir en bonne santé, et j’espère qu’avant que cette lettre vous parvienne, vous aurez reçu beaucoup de mes correspondances. Pour le présent, mes très chers parents, je suis bien portant et conserve toujours bon appétit. Aujourd’hui, Lundi 16, Nous sommes au poste de police depuis ce matin cinq heures et jusqu’à demain matin cinq heures. Durant toute la journée on est tranquilles et notre seule occupation est de se coucher sur la paille ou de rigoler et s’amuser avec les amis. Vous pouvez voir qu’on n’est pas trop malheureux et évidemment on ne s’inquiète pas. Je n’ai encore, mes très chers parents, rien reçu de papa, et vraiment il me tarde de recevoir une de ses lettres, car voilà onze jours de retard. Votre lettre de hier, me disant qu’il était en bonne santé m’a tout de même rassuré, malgré cela j’attends  avec impatience la distribution de ce soir, je lui écrit en même temps qu’à vous. Nous croyons être ici, chers parents, jusqu’au 20 courant; d’ici nous croyons aller à Barlin, petite ville un peu plus rapprochée du front, où nous croyons rester une semaine, et enfin ce sera ensuite le retour aux tranchées, que j’envisage d’ailleurs sans inquiétude. Hier nous sommes allés assister à la grand-messe, et le soir aux vêpres, toujours avec Lormand et Lacroix. Quelle différence avec les cérémonies de chez-nous ! Chers parents, quoi qu’on en dise nos villages du midi sont préférables à ceux du Nord, et à tous les points de vue. Le soir, nous avons passé la soirée avec tous les amis, et notre journée du 15 Août qui avait très bien commencée s’est terminée de même. J’ai reçu dans votre lettre d’hier le mandat de 10 francs que cette chère maman m’envoyait; et vraiment je ne désire pas autre chose. Vous avez dû recevoir aussi ma lettre vous disant que Lormand m’avait remis les 5 francs qu’il avait gardé par méprise, et aussi le colis contenant 5 francs pour l’imperméable. J’en reconnais l’utilité et pour ici s’est vraiment indispensable! Mais chers parents attendez encore, et lorsque je le jugerai nécessaire, je vous écrirai et vous dirai comment il le faut. Dans votre réponse donnez moi des nouvelles du pays et dites-moi si Louis pense venir vous embrasser bientôt. A mon cher frère, qu’il sache que je ne l’oublie pas, et que si ici on peut se payer quelques plaisirs, c’est aussi grâce à lui qui nous les procure par son travail. A ces chères grand-mères, à qui je ne passe pas jour sans penser, mille caresses à elles, à ma cousinette Noëlie, un gros baiser, en un mot embrassez tous les parents pour moi. Je termine chers parents et vous prie de recevoir, de celui qui pense constamment à vous, mille baisers fous.”

GABRIEL

 

58° LETTRE EPS le 18 Août 1915

“Bien chers parents, il est 11 heures et nous arrivons d’une marche de trente kilomètres, que nous sommes allés faire dans les environs,. Nous avons repos toute l’après-midi, et j’en profite pour vous donner de mes nouvelles, qui sont toujours bonnes comme à l’habitude, ma santé est excellente et sommes encore au repos. Laissez-moi, maintenant, vous accuser réception de deux de vos cartes, dont une de maman et une d’Alphonse. Bien content de vous savoir tous bien-portants et aussi d’apprendre que le 15 Août toute la famille avait prié pour nous. Je vous remercie et croyez que moi aussi je ne vous oublie pas, et qu’hier encore à la bénédiction (car nous y allons tous les jours) j’ai pensé à vous tous. J’ai reçu aussi, chers parents, un colis contenant: saucisson, chocolat, confiture, bonbons. Le tout a été très bon, et nous l’avons mangé de bon appétit. D’après les bruits qui circulent on croit que nous allons quitter Eps, pour nous approcher un peu plus du front, mais toujours en arrière, à Barlin, gentille petite ville, où l’on croit rester encore 5 ou 6 jours. Je vous tiendrai d’ailleurs au courant. Maintenant, mes très chers parents, je dois vous avouer que me voilà au 14° jour, et que je n’ai rien reçu de ce cher vieux. Bien que ce retard soit explicable, il se prolonge tout de même un peu trop, et cela commence à m’impatienter. Vos lettres me rassurent un peu en me disant qu’il vous a écrit à vous, mais tout de même j’attends une de ses lettres avec une impatience que vous comprendrez. Enfin, espérons toujours et peut-être que ce soir , je serais plus heureux. Chaque soir on sort avec Lormand et les autres amis, et inutile de vous dire que nous sommes comme des frères. J’écris en même temps à papa, et dans votre réponse donnez-moi des nouvelles de Louis Négrou et envoyez-moi aussi son adresse. Je termine et vous écrirai encore demain, bien le bonjour aux amis. Embrassez bien tous les parents pour moi, à ma cousinette, dont je sais qu’elle ne quitte pas la maison, une grosse caresse. A cette chère Finou et Rosette, dites-leur que je ne les oublie pas, et fais des voeux pour que je puisse les embrasser sous-peu (espérons que ce sera avant l’année 1916). Pour toi chère maman et toi cher frère, recevez les plus tendres caresses, d’un fils et frère qui ne vous oublie pas. Et Louis quand vient-il ???”

GABRIEL

 

59° LETTRE EPS le 20 Août 1915

“ Mes très chers parents, je suis aujourd’hui tout en joie car, ce soir, le sergent m’a remis deux lettres de papa et une de vous. Inutile de vous dire quel plaisir j’ai éprouvé à lire ces lettres que j’attendais avec impatience et combien j’ai été heureux de vous savoir en bonne santé. Aussi me voilà content, et ce soir je ne sort pas et consacre ma soirée à vous écrire, ainsi qu’à ce cher vieux. Tout d’abord laissez moi vous causer au sujet de ce que Mme Dumas vous a écrit. Mr Fabre voudrait, me dites-vous, écrire à ses égaux pour me recommander. Et bien, chers parents, je dois vous avouer franchement que cela n’est pas trop possible, et je vais vous dire pourquoi. Les chefs, comme nous, montent aux tranchées, et par conséquent, comme nous aussi, peuvent être blessés, tués ou faits prisonniers. Je vous dit cela pour que vous compreniez que nous ne passons pas 15 jours sans changer de gradés, et que je donnerais, supposons, le nom de notre sergent-major à Mr Fabre, dans 15 jours ce serait à recommencer; car ou bien aurait-il augmenté de grade, ou bien serait-il tué, blessé ou prisonnier. De plus il vous faut croire que ce n’est pas trop possible, car alors je ne serais pas seul, tout le monde aurait quelqu’un à recommander. Par conséquent, chers parents, reconnaissez que malgré la bonne volonté de ce cher monsieur, le résultat serait nul. Je suis persuadé que s’il connaissait un gradé par ici, alors son influence pourrait avoir d’excellents résultats, sans cela, n’y comptons pas . La seule personne qui aurait pu me sauver des tranchées est malheureusement morte , c’était le commandant Chazals. Par conséquent, chers parents, oublions cela, et dans votre réponse à Mme Dumas remerciez la quand-même. D’ailleurs, lorsque j’aurai un moment de loisir, j’en profiterai pour lui donner de mes nouvelles et lui expliquerai cela. Merci, maintenant, chers parents, pour les renseignements que maman me donne et que je lis avec grand plaisir. Pour moi, je suis toujours bien portant, et bien content, nous sommes toujours ici, au repos, mais croyons partir tout de même sous peu, pour aller un peu plus loin mais toujours en arrière. D’ailleurs, je vous tiendrai au courant. Je dois vous dire aussi, mes chers parents, que depuis quelques jours, nous avons un nouveau capitaine et que nous sommes beaucoup mieux nourris; c’est excellent et l’on nous prépare des petits plats exquis, c’est tout ce qu’il y a de meilleur, et je vous assure que l’on mange bien et beaucoup. Aussi souhaitons que cela dure, car pour le service il en est de même, il ne nous embête pas; et cela vous prouve, chers parents, que nous sommes merveilleusement biens. Chaque soir on se voit avec Lormand, et sûrement il va venir me chercher. J’ai reçu en même temps que la lettre, la carte d’Elisabeth, qui m’a bien fait plaisir. J’écris en même temps qu’à vous à ce cher papa. Je termine et vous écrirai encore demain. A ma cousinette Noëlie, un gros baiser, embrassez tous les parents pour moi, pour vous bien chère maman, bien cher frère et bien chère grand-mère, recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

60° LETTRE EPS le 21 Août 1915

“ Mon très cher Alphonse, je recevais hier un courrier volumineux, dont une lettre de ce cher vieux, une de Laurent, une de l’oncle Julien, une de Joseph Claparède et enfin le tienne. Tu peux croire quel plaisir j’ai éprouvé à lire toutes ces missives, et à vous savoir tous en bonne santé. Pour moi cher frère, il en est de même, toujours bien-portant et toujours content. A moins d’un contre-ordre, c’est demain que nous quittons Eps, et nous ne savons pas encore si nous allons à Barlin ou à la Fosse 10. Je t’écrirai et te tiendrai d’ailleurs au courant. Tu as dû voir sur les communiqués, cher Alphonse, qu’en Artois, entre Angres et Souchez, on s’était emparé d’une tranchée, fait des prisonniers, et de 4 mitrailleuses; c’est précisément là, cher frère, que nous étions la dernière fois et que nous appelons “chemin creux”. On prévoyait cette attaque, en on craignait que ce soit le 158° qui charge; ça n’a pas été nous, ce fut la brigade des chasseurs qui nous a relevé, et que nous devons aller relever; c’est elle qui a fait le travail. Nous croyons, par conséquent, être un peu plus tranquille, car avant la prise de cette tranchée, on était si près des boches qu’on se battait à coup de grenades et de bombes. L’oncle Jullien m’écrivait hier et me disait qu’il est toujours en bonne santé. Je lui réponds en même temps qu’à toi, ainsi qu’à ce cher papa. Joseph aussi est très régulier dans ses correspondances, je lui écris aussi. Remercie maintenant, cher frère, cette brave mamée Finou des quelques mots qu’elle a ajouté à ta lettre; je comprends qu’elle ne m’oublie pas et pense souvent à moi, embrasse la pour moi, ainsi que Rosine, et dites leur de conserver toujours bon espoir. Je ne te dis pas de remercier Laurent de sa lettre contenant 5 francs et la photo du père Bonnet et de sa chère moitié, je le ferais moi même. Je termine et je te prie d’embrasser tous les parents pour moi, un gros baiser à la Titassa, qui, m’a-t-on dit est un vrai petit diable. Le soir paraît-il, lorsqu’elle fait la prière, elle va faire peur à Etienne ! Voilà ce qu’on m’a appris; est-ce vrai ? Ici les nuits sont fraîches et humides. Envoyez-moi (ne l’oublie pas) de la poudre contre les poux, car il est impossible de s’en débarrasser et la nuit on ne peut dormir. Recevez, cher frère, chère maman, chère grand-mère, mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

61° Lettre Fosse 10 le 22 Août 1915

“ Mes très chers parents, c’est de la Fosse 10 que je vous écris ce matin, à 6 heures hier, nous quittions Eps, et embarquions dans des autos qui nous transportaient ici, où nous arrivions à midi. Il est actuellement 2 heures, après nous être nettoyés et restaurés, je profite de ce que nous avons la soirée de libre pour vous écrire ainsi qu’à ce cher papa. Comme à l’habitude, mes très chers parents, ma santé est excellente et je ne m’inquiète pas. Hier soir je suis sorti avec Lormand et ce soir on doit se revoir. Nous croyons rester ici encore 3 ou 4 jours, je vous tiendrai d’ailleurs au courant. J’ai reçu, chers parents, une lettre du 18 Août, ainsi qu’une de papa. Inutile de vous dire quel plaisir j’éprouve à les lire, surtout lorsqu’elles contiennent de longs détails. Je ne vois pas autre chose à vous dire, et vous écrirai le plus souvent possible. J’oubliais de vous dire qu’en même temps que vos lettres me parvenaient, Lormand en recevait une, de son frère, lui disant qu’il devait aller à La Boissière, et qu’il était fou de joie. Lormand en a été heureux et cela lui fait aussi plaisir. Je termine et vous prie d’embrasser tous les parents de ma part. Un gros baiser, en particulier aux chères grand-mères et à la petite Noëlie. Pour vous, chers parents, recevez mes plus tendres caresses. Nous avons ici le 28° qui est cantonné à 1 kilomètre. Je n’ai pu rencontrer tout de même aucune connaissance. Je reçois en même temps une lettre de Granier. N’oublie pas la poudre contre les poux.”

GABRIEL

 

62° Lettre Fosse 10 le 23 Août 1915

“Mes très chers parents, encore ici ! Nous venons de manger la soupe, et allons partir pour le rapport où les lettres vont être relevées. Je serai, par conséquent, très court. Sachez, chers parents, que ma santé est toujours excellente, et ne m’inquiète pas. Les boches nous ont bien envoyé quelques marmites pour nous souhaiter le bonjour, mais on les a accueillies sans inquiétude.  J’ai reçu hier votre colis contenant: saucisson, jambon et chocolat. Le tout, mais le jambon en particulier, a été excellent. Je termine et écris en même temps à papa. Mes bons baisers aux parents et en particulier aux grand-mères et à la petite Noëlie. Pour vous mes très chers parents recevez mes plus tendres caresses. Depuis 2 jours le canon tonne sans cesser. On n’entend qu’un roulement, vous pouvez voir cela sur les communiqués.”

GABRIEL

 

63° Lettre Fosse 10 le 24 Août 1915

“ Mes très chers parents, toujours à la Fosse 10 ! Nous attendons le départ, mais personne ne sait quand il aura lieu. Toujours est-il que ma santé est excellente et ne m’inquiète pas. J’ai reçu hier une lettre de papa dans laquelle se trouvait la carte qu’Alphonse lui avait envoyé. Vous savez déjà, mes chers parents, quel plaisir j’éprouve à les lire et surtout je suis heureux de vous savoir en bonne santé. J’ai reçu hier des nouvelles de Jean qui est toujours bien portant et qui m’écrit que son secteur est toujours  tranquille. Nous ne pouvons pas en dire autant ici, en Artois où la nuit dernière les boches ont encore attaqué, et où l’artillerie tire effroyablement. Enfin on a tout de même bon courage et bon espoir. Je lui répond en même temps qu’à vous et qu’à ce cher vieux. Je termine et vous prie d’embrasser tous les parents de ma part. En particulier une grosse caresse aux grand-mères et à la Titassa. Pour vous, bien chère maman, bien cher frère, bien chère grand-mère, recevez les baisers les plus fous de celui qui pense à vous.”

GABRIEL

 

64° Lettre Fosse 10 le 26 Août 1915

“ Mes très chers parents, je voulais vous écrire hier soir, mais j’ai été occupé à tel point que cela n’a pas été possible. Aussi aujourd’hui je m’empresse de vous apprendre que ma santé est toujours excellente, et suis toujours content. J’ai reçu, chers parents, la lettre de maman datée du 21 Août, qui avec ses longs détails m’a fait passer des moments inoubliables. J’ai reçu aussi le colis de grand-mère Finou, j’ai trouvé dedans tout ce qu’il y avait sur le billet. Je la remercie pour tant d’attention pour moi. Inutile de vous dire que les 40 sous qui s’y trouvaient, aussi. Le tout était rudement fameux, et en particulier les gâteaux et cigarettes; Encore une fois, merci. J’ai eu aussi une lettre de papa m’apprenant qu’il était toujours en bonne santé, je lui écris en même temps qu’à vous. J’oubliais encore de remercier maman pour les deux médailles de Notre Dame de Gignac, et selon ses désirs j’en ai remis une à Lormand. Pour moi, chers parents, j’aurais bien d’autres choses à vous dire, mais par lettre cela n’est pas possible, réservons cela pour plus tard. Nous nous trouvons encore actuellement à la Fosse 10. Deux de nos bataillons, les 2° et 3° sont montés en ligne hier soir, nous, le 1° , nous attendons. Je vous tiendrai d’ailleurs au courant. Hier soir je suis sorti avec Lormand, Lacroix et Maigron, de Montpellier, qui est un de mes meilleurs amis, mais dont je ne vous avais jamais parlé, qui est dans la même escouade que moi et avec qui on partage comme des frères. D’ailleurs, je n’y peux rien car il est aisé, et reçoit de chez lui, très souvent, des colis. Hier encore on a mangé une langouste en boîte que sa mère lui avait envoyé. Il avait reçu de quoi la préparer, aussi nous nous sommes régalés. Nous sommes ainsi, 4 copains, avec les mêmes idées et on s’entend très bien. Nous sommes, chers parents, très bien nourris et n’avons plus rien à souhaiter. Je n’ai pas encore écrit à Mr Dumas, et je vais vous dire pourquoi: on croit, et tout laisse à penser, que nous allons quitter ce secteur, aussi, je préfère attendre d’être fixé à ce sujet; et alors, seulement, je leur écrirai. Car si le 158° quitte l’Artois, cela sera complètement inutile. Maintenant, mes chers parents, je dois vous dire de ne pas oublier de m’envoyer la poudre contre les poux; surtout pensez-y, car on passe souvent des nuits blanches, rapport à ces sales bêtes ! Je termine et vous écrirai encore demain. Mes bons baisers aux parents, un gros poutou aux mamettes Finou et Rose et à la petite Noëlie en particulier. Pour vous, chère maman, cher Alphonse recevez mes plus tendres caresses, de celui qui ne vous oublie pas. J’ai reçu aussi votre carte où treize signatures étaient apposées. Merci; J’écris à papa.”

GABRIEL

 

65° Lettre Fosse 10 le 27 Août 1915

“ Mes très chers parents, j’espère que la photographie que vous recevrez aujourd’hui sera pour vous une agréable surprise. Oui mes chers parents, depuis longtemps nous pension  à vous envoyer nos portraits, mais avant-hier nous avons rencontré celui que nous désirions tant. Vous verrez et reconnaîtrez Lormand, qui est derrière moi, vous verrez aussi Lacroix qui se trouve à sa droite et qui lui aussi à la barbe, celui de gauche, qui est malheureusement le plus mal photographié est dans la même escouade que moi et s’appelle Maigron. Avec lui on partage comme des frères et on s’entend très bien. Voilà ,mes chers parents, mes trois meilleurs copains et avec qui je sorts chaque soir. Nous formons un quarto inséparable et nos caractères s’accordent très bien. Il nous arrive souvent, par exemple, d’acheter une bonne tarte et tous les 4 d’aller la savourer au café en l’arrosant d’un ou deux litres de vin blanc. Vous pouvez voir mes chers parents qu’on ne s’inquiète pas, loin de là, vous verrez aussi que je n’ai pas maigri, non car depuis bientôt 25 jours on est très bien nourris et on ne se fatigue pas trop. Ainsi donc, pas d’inquiétude, nous sommes toujours à la Fosse 10 et on parle toujours, mes chers parents, de quitter le secteur, et les bruits les plus fantaisistes circulent. Aussi, je préfère me taire, et seulement lorsque nous saurons quelque chose d’officiel, je vous le ferai savoir. Je voudrai aussi, chers parents, envoyer une carte à tout le monde, mais vous comprenez que cela n’est pas possible. D’ailleurs les photos ne sont pas très belles, inutile de dire que les parents pourront la voir, je me demande si la petite Noëlie me reconnaîtra. Je suis persuadé aussi que les grand-mères Finou et Rose auront un grand bonheur de contempler leur petit-fils. Je dois vous demander, maintenant, mes chers parents, des nouvelles de l’oncle Frédéric; voilà quelques temps que personne ne me dit ce qu’il fait et comment il va. Même dans votre dernière carte où avait signé Mr Poujol et tous les parents, lui seul ne m’envoyait pas même un bonjour. Cela m’a choqué et je voudrais bien savoir ce qu’il en est. J’écris aussi à papa et j’espère et souhaite que lorsque cette lettre vous arrivera Louis sera déjà parmi vous. Je termine, mes chers parents, mille bons baisers aux parents, une grosse caresse aux grand-mères et à la petite Noëlie en particulier. Pour vous, bien chère maman, bien cher frère, chère grand-mère, recevez mes plus doux baisers. Surtout n’oubliez pas le remède contre les poux, car c’est une véritable épidémie par ici. Je dois vous avouer ce qui m’est arrivé: la lettre de Laurent me donnait l’adresse de l’oncle Bonniol et sans mégarde je l’ai brûlée sans garder le double. Donnez la moi je vous prie.”

GABRIEL

 

66° Lettre Fosse 10 le 28 Août 1915

“ Mes très chers parents, comme je vous l’avais promis dans ma lettre d’hier, je viens aujourd’hui vous donner de mes nouvelles. Ma santé est parfaite et suis bien content. Nous sommes toujours à la Fosse 10. Quand monterons-nous ? Sauf contre-ordre, ce serait demain au soir . Mais croyez que rien n’est officiel. Il s’est produit il y a deux nuits des mouvements de troupe, c’est à n’y rien comprendre ! Enfin je vous tiendrai au courant et vous écrirai le plus souvent possible. J’ai reçu, mes chers parents, la lettre de maman datée du 23 Août et vous comprendrez quel plaisir j’éprouve lorsque je vous sais tous en bonne santé. De même papa, on s’écrit chaque jour et lui aussi est bien portant; je lui écris en même temps qu’à vous. Je dois vous dire, mes chers parents, que je dédie la petite photographie qui se trouve jointe à cette lettre à ma chère maman. Oui, bien que la photo ne soit pas très nette ni jolie, elle pourra en guise de souvenir, la porter chez un bijoutier qui l’encadrera dans un médaillon. C’est ce que tous les amis ont aussi décidé de faire. J’écris en même temps qu’à vous à Mr Golfin et j’envoie une photo à Loupian. Que vous dire encore, si ce n’est qu’ici règne toujours la même activité. Le temps s’est remis au beau, et aussi fait-il très chaud. Je termine et vous prie d’embrasser tous les parents de ma part, en particulier un gros baiser aux grand-mères et à la petite Noëlie. Pour vous, bien chère maman, bien cher Alphonse, bien chère grand-mère, recevez les plus tendres caresses de celui qui ne vous oublie pas.

Je réponds aussi à Marie-Rose, je crois inutile d’envoyer une photo à Louis, car il pourra la voir lorsqu’il viendra en permission. Peut-être croirez vous que je vous ennuie, mais laissez moi vous rappeler de m’envoyer un remède, qu’un pharmacien pourra vous donner contre les poux de corps; ça pullule et avec les chaleurs c’es dégoûtant !  Croyez que tout le monde est dans les mêmes conditions. C’est dégoûtant aussi à ce point de vue que la nuit personne ne peut dormir, aussi j’attends avec impatience de quoi se débarrasser de cette sale vermine.”

GABRIEL

 

67° Lettre Fosse 10 le 29 Août 1915

“ Mes très chers parents, aujourd’hui dimanche nous sommes très occupés car nous faisons les préparatifs de départ. C’est ce soir à la nuit tombante que nous monterons aux tranchées. Des régiments d’infanterie et d’artillerie sont arrivés hier soir de Belgique, et nous nous demandons s’ils viennent pour nous relever ou si ce sont des renforts au cas ou on attaquerait. Mystère, personne n’en sait rien et qui vivra verra. J’ai toujours, mes chers parents, grand courage et grand espoir. Si j’ai un moment de libre, à 10 heures, j’irai à la grand-messe où je dois retrouver Lormand et Marius Souveyran d’Aniane. Je vous écrirai le plus souvent possible, mais ne vous effrayez pas si malheureusement il m’est impossible de vous écrire de 2 ou 3 jours. Ma santé est excellente, j’écris en même temps à papa. J’ai reçu, hier, votre lettre très détaillée qui m’a fait, comme toujours, grand plaisir. Je termine et vous prie d’embrasser tous les parents pour moi. Recevez, bien chère maman, bien chère Mirou, bien chères grand-mères, les plus tendres caresses, d’un fils qui pense toujours à vous.”

GABRIEL

 

68° Lettre SECTEUR 116 le 30 Août 1915

“ Toujours en bonne santé est toujours content. J’ai vu Marius Souveyran hier soir, il espère venir sous-peu et je dois le voir avant son départ. Il vous donnera de mes nouvelles.”

GABRIEL

 

69° Lettre SECTEUR 116 le 1° Septembre 1915

“ Toujours en bonne santé et toujours content. Mille caresses de celui qui ne vous oublie pas .”

GABRIEL

70° Lettre SECTEUR 116 le Samedi 4 Septembre 1915

“ Toujours content et en bonne santé. Le temps me manque, chers parents, pour vous en dire plus long, j’écris en même temps à papa. Mille caresses de celui qui ne vous oublie pas.”

GABRIEL

 

71° Lettre HERSIN le 5 Septembre 1915

“ Mes très chers parents, à la hâte, je vous adresse ces quelques mots. Cette nuit nous étions relevés et à la pointe du jour nous arrivions à Hersin, petite ville en arrière du front. Notre premier travail est de nous nettoyer et de nous changer des pieds à la tête. Ma santé est bonne mais je dois vous avouer qu’après avoir pris froid, j’ai eu un abcès, qui a percé ce matin seulement. Inutile de vous dire que cela fait souffrir, mais aujourd’hui, tout va pour le mieux. Demain je vous écrirai plus longuement. Une grosse caresse aux grand-mères et à ma cousinette Noëlie. J’écris en même temps à papa. Mes bons baisers aux parents. Pour vous, chers parents, recevez mes plus tendres caresses”

GABRIEL

 

72° Lettre HERSIN le 6 Septembre 1915

8 heures du matin

“ Mes très chers parents, ce serait des pages et des pages que je voudrais vous envoyer, mais vous comprendrez que sur une lettre on ne peut tout mettre. Malgré cela je vais aujourd’hui vous donner quelques détails. Il est actuellement 8 heures du matin. Après s’être reposés et avoir passé une nuit comme on n’en avait pas passé depuis longtemps, nous voilà réveillés, frais et dispos. A dix heures, seulement, nous avons revue d’effets, mais comme je me suis nettoyé hier, je profite de ces deux heures pour causer avec vous. Je dois d’abord vous avouer que nous sommes ici au repos pour quelques jours. Hersin est une gentille petite ville où, anglais et français, tout le monde fraternise ensemble. Nous étions relevés la nuit dernière et on ne s’y attendait pas. D’ailleurs depuis quelques temps il ne faut pas chercher à comprendre. La période que nous venons de faire a été pénible, pour moi surtout qui ai souffert pendant 5 jours d’un abcès, qui vous savez, n’est rien de bon. Régulièrement, chers parents, nous ne tenions pas les premières lignes. Non, je vais vous expliquer. Le soir à la nuit tombante nous allions travailler en première ligne, où nous construisions des abris. Chaque nuit de 9 heures à 3 heures du matin, avec la pluie sur le dos, il fallait manier la pelle et la pioche ! Travail très pénible car on avait en plus les obus et les balles qui nous tenaient constamment en éveil. Aussi je puis vous assurer que ce n’était pas le rêve. Le matin, seulement, on repartait un peu en arrière, dans des abris où l’on avait la journée pour se reposer. Mais alors pour moi commençait le calvaire, car plus que jamais, mon abcès me faisait souffrir. Cela dura ainsi 5 jours, et au lieu d’être relevés, nous croyions aller en premières ligne. Il n’en a pas été ainsi, tant mieux, et grâce à Dieu car nous avons eu des pertes, et me voilà sain et sauf. Mon abcès qui a percé ce matin ne me fait plus souffrir et comme auparavant, j’ai bon appétit et suis content. Nous venons de casser la croûte et je vous assure que nous avons fait honneur au jambon et aux conserves qui se trouvaient dans le colis. Le temps est aujourd’hui très beau mais hier encore, et cela a duré 5 jours, il a plu continuellement. Aussi vous vous imaginez dans quel état était le sol. Drôle de guerre , chers parents, où l’on marche constamment sous terre. Actuellement, et c’est pour ça que nous travaillons, on active la construction d’abris pour la campagne d’hiver. Ah oui, le secteur commence à devenir une véritable forteresse. Partout, en première ligne, en deuxième ou troisième et aux réserves, il y a des abris formidables, et lorsque tout sera terminé on sera là dedans aussi en sécurité qu’à 30 kilomètres en arrière du front. Cela rendra la campagne d’hiver bien moins pénible; car ces abris creusés à 12 mètres sous terre sont, très bien éclairés, boisés, c’est à dire que la terre est maintenue avec du bois, avec beaucoup de paille pour s’aliter et dans ces abris on loge une trentaine de types. Mais le principal c’est qu’on sera à l’abri du froid et de la pluie. J’ai eu l’occasion de visiter en première ligne l’abri des officiers, c’est superbe et riche, et c’est à peine croyable de voir, qu’à 20 mètres des boches, il y a dans ces abris, des canapés, des glaces, tout ce qu’on peut s’imaginer. Que vous dire du secteur, chers parents ? Et bien les boches nous laissent maintenant tranquilles, leur artillerie ne tire presque plus, mais la nôtre, au contraire, tire nuit et jour; et le 75, 105, 155, 270, 280, 380, tout crache la mort dans les tranchées boches. D’ailleurs, chers parents, puisque je vous fait mes confidences, je dois vous dire que nous croyons tous, et assistons aux préparatifs d’un grand coup avant l’hiver. Je ne sais si ce sera ici en Artois, ou bien en Argonne ou bien en Alsace, mais nous croyons tous qu’il va y avoir une poussée formidable. Les grosses pièces qui se trouvent ici, ont tiré, chaque jour 1200 obus; nuit et jour arrivent des convois de munitions et de nouvelles pièces. Tout cela nous fait prévoir qu’il y aura probablement du nouveau. Enfin on a malgré tout bon courage et bon espoir. J’ai reçu, chers parents, vos lettres, et maman ne peut croire, combien je suis heureux de  relire ses longues lettres. Merci pour le petit billet de cent sous, je suis aussi très content de voir que personne ne m’oublie, jusqu’à ma cousinette, qui me dites-vous, m’a reconnue sur la photo. Remercie aussi Léa pour la photo de ce cher Daniel, qui est très bien photographié et aussi pour le petit sapeur qui se trouvait à l’intérieur. Ce matin je recevais aussi la lettre de Marthoune qui m’a bien fait plaisir, et m’apprenez que vous étiez tous en bonne santé. D’Ernest, d’Hélène, de Jean Sourzac, d’Eugène Bonniol et de Jean Bonniol etc… j’ai reçu des nouvelles de tous, et je leur répondrai un de ces jours. Vous voyez que comme courrier, j’ai du travail. Je termine, chers parents, car il me faut écrire à ce cher vieux, qui ne m’a pas encore accusé réception de la photo. J’ai reçu, chers parents, vos colis et à dix heures nous allons manger la boîte de langouste. Ce soir je ferai mon possible pour voir Lormand. Mes bons baisers aux parents, une grosse caresse aux grand-mères et à la petite Noëlie. Pour vous, bien chère maman, bien chères grand-mères, bien cher Mirou, mes plus tendres caresses et mon plus affectueux souvenir.”

GABRIEL

 

73° Lettre HERSIN le 7 Septembre 1915

2 heures de l’après midi

“ Mes très chers parents, j’aurais voulu vous écrire ce matin, pour que ma lettre parte à midi mais cela n’a pas été possible. Je vais vous expliquer pourquoi. Ce matin, à 6 heures, nous partions pour un village à 6 kilomètres d’ici, où tout le bataillon a pris des douches. Inutile de vous dire combien on est heureux de se laver, car on éprouve ensuite un grand bien être. Nous étions de retour à midi et demie, ce qui est la cause de mon retard. Cet après-midi, nous nettoyons tout notre armement et à 4 heures nous avons revue. J’ai fini mon travail et j’en profite pour vous adresser ces quelques mots. Ma santé est excellente et suis toujours content. Nous sommes bien nourris et bien couchés. Hier soir j’ai vu Lormand et nous devons nous retrouver tous ensemble ce soir. Laissez moi maintenant vous accuser réception du colis contenant: jambon, saucisson, foie-gras, thon, chocolat et paquet de cigarette, offert par mon cher Mirou. Je le remercie particulièrement et à la  première occasion je lui causerai une gentille surprise. Inutile de vous dire que ces provisions sont bien reçues. Maman m’écrit que la petite Noëlie se trouve toujours à ses côtés, je suis très content de savoir qu’elle ne quitte pas la maison, car, je comprends, chers parents, qu’elle doit tous vous distraire. Je dois maintenant vous causer d’autre chose. Marius Souveyran, que j’ai vu tout dernièrement, avant de monter aux tranchées, m’a dit qu’il espérait venir sous- peu en permission à Aniane. Il a été bien entendu qu’il ne partirait pas sans me causer, car je crois que vous seriez heureux d’avoir de mes nouvelles de vive voix, et par lui. Mais je ferai mon possible pour lui causer un de ces jours et alors je vous écrirai. J’ai reçu, chers parents une lettre de Granier et la carte de ma cousinette et de mon cher Alphonse que je conserverai comme porte-bonheur ! J’écris en même temps à papa, j’ai reçu ce matin une de ses lettres, et il est toujours bien portant. Mille bons baisers aux parents, pour vous, chère maman, chères grand-mères, bien cher frère, recevez tous mes plus tendres caresses de celui qui ne vous oublie pas.

Envoyez-moi le plus tôt possible des chaussettes, car je n’ai que la paire que je porte, joignez-y aussi 2 ou 3 mouchoirs.”

GABRIEL

 

74° Lettre SECTEUR 116 le 9 Septembre 1915

“Mes très chers parents, Nous venons de passer une revue du général et, comme l’on va relever les lettres, c’est à la hâte que je vous adresse ces quelques mots. Ma santé est excellente et ne m’inquiète pas. J’ai vu Lormand encore hier soir et avec lui, Lacroix et Maigron. Nous venons d’assister à la bénédiction, nous irons encore ce soir. J’ai reçu, mes très chers parents, votre lettre qui m’a bien fait plaisir, ainsi qu’une de ce cher papa. Je lui répond en même temps qu’à vous. Je termine car on relève les lettres. Mes bons baisers aux parents et en particulier à la petite Noëlie et aux chères grand-mères. Pour vous, ma chère maman, cher frère et chère Finou recevez mes plus douces caresses.”

  GABRIEL

 

75° Lettre SECTEUR 116 le 12 Septembre 1915

7 heures du soir

“Mes très chers parents, c’est du café où je me trouve réuni avec les amis que je vous adresse ces quelques mots. Ma santé est excellente et suis toujours content. Demain je vous écrirai une très longue lettre, j’écris aussi à papa. Recevez, chers parents, mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

76° Lettre HERSIN le 13 Septembre 1915

“ Mes très chers parents, vous devez dire que vraiment mes lettres se font un peu rares. Cela est vrai, mais croyez que même au repos, nous sommes cette fois-ci très occupés. Chaque matin, au lever, nous partons, tout le bataillon, faire des exercices, pour l’assaut aux tranchées. Cela dure toute la matinée. Le soir, car le matin personne ne manque à cet exercice, je vais travailler aux écritures du bureau; que cela ne vous étonne pas, chers parents, car ce n’est pas la première fois, chaque fois que nous sommes au repos et que le chef est trop occupé, il m’appelle pour travailler auprès de lui. C’est ce que je fais chaque après-midi. Inutile de vous dire que ce n’est pas à dédaigner et qu’il est plus agréable d’écrire quelques heures que d’aller se fatiguer toute une soirée. Le soir après  la soupe on se retrouve avec les amis: Maigron, Lacroix et Lormand et on va au café ensemble (au salut). On assiste à une très belle cérémonie, car nous avons un missionnaire qui prêche admirablement bien, aussi chaque soir l’église est-elle comble. Que vous dire encore, chers parents, j’aurais, si je pouvais écrire tout, de très longues pages à griffonner. Réservons cela pour plus tard…  Ici le secteur devient de plus en plus agité, l’artillerie tonne effroyablement. Nous sommes tous convaincus, d’après ce que nous voyons, qu’il y aura sous-peu du nouveau, et que de rudes combats pourraient se livrer par ici. Espérons toujours, chers parents, que grâce à Dieu, nous reviendrons encore une fois ! J’ai vu Marius Souveyran, mais les permissions sont supprimées, tout cela croyons-nous à cause de l’attaque qui semble se préparer. Je dois le revoir après l’assaut. Laissez moi vous dire, chers parents, que nous allons avoir un casque, et que le képi va être remplacé dans notre cher régiment par un béret. Vous me parlez de l’imperméable, j’en ai causé à Lormand qui préfère attendre encore un peu. Mais, pour moi, maman a une très bonne idée de me l’envoyer par Marius Souveyran. La forme que je désire sera comme celle de Jean, tout comme, avec une capote, avec manches et capuchon pour la tête. J’ai reçu aussi, chers parents, la lettre d’Alphonse qui m’a bien fait plaisir, de même aussi on m’a remis le flacon de liquide pour les poux, bien que je ne le crois pas trop pratique, car ce ne sont pas des poux de tête mais des poux de corps. Papa m’écrit très souvent et je suis content de le savoir en bonne santé. Pour moi toujours bien content et bien portant. Recevez tous mes plus douces caresses, excusez mon style car je suis pressé. Comme je fume la pipe, envoyez-moi du tabac au lieu des paquets de cigarettes.”

GABRIEL

 

suite Lettre

Etant libre un moment, j’en profite pour vous donner encore quelques détails. Aujourd’hui dimanche, il est 4 heures et depuis 10 heures nous sommes au repos. Point de travail et cela à cause de la victoire des russes; à cause aussi de leur grand succès, le commandant de la compagnie nous a donné, ce soir, un quart de vin supplémentaire. Nous sommes, mes chers parents, bien nourris et sommes contents de nos officiers. Bien que très jeune, notre lieutenant est très courageux et je vous assure qu’il fera plaisir de marcher avec lui si l’on va à l’assaut. Pour combien de temps sommes-nous ici ? Personne n’en sait rien !

Ici, et c’est curieux à voir, français et anglais fraternisent tous, et j’aimerais bien vous faire voir tout cela! Le temps est beau bien que les nuits soient fraîches

Je termine chers parents, une caresse particulière aux grand-mères et à la cousinette. Dites moi, dans votre réponse, si vous avez commencé de vendanger . Embrassez tous les parents pour moi. Recevez, bien chère maman bien cher frère et bien chère grand-mère mes meilleures caresses”

Gabriel

 

77° Lettre Hersin le 15 Septembre 1915

Hier j’ai reçu avec grand plaisir une longue lettre de cette chère maman datée du 12 ainsi qu’une carte de papa. Je recevais en même temps la bague cadeau de Marthoune que je porte et conserve précieusement. Remerciez-la pour moi et je lui écrirai un de ces jours. Je recevais aussi en même temps que ces correspondances 2 colis. Inutile de vous dire qu’ils ont été les bien-venus et que nous avons fait honneur aux bonnes choses que cette chère maman m’envoyait  ! Merci mes chers parents de tant d’attentions. J’ai été aussi content d’apprendre que mon cher Alphonse était devenu chasseur et de même qu’i était devenu un homme j’aimerais bien aussi recevoir ne serait-ce-que quelques cartes de sa part. Pour moi mes chers parents toujours ici et ne savons pas à quand le départ (sic). Ma santé est excellente et je ne m’inquiète pas; chaque soir on sort avec Lormand et les autres amis et vous savez quelles sont nos occupations; quant à la situation, j’en aurais long à vous dire mais cela est expressément défendu. Je termine et embrassez les parents bien fort de ma part, aux grand-mères et à ma cousinette, mille baisers.

Pour vous bien chère maman, ma chère grand-mère et bien cher Alphonse, recevez mes plus douces caresses.

GABRIEL

 

78° Lettre HERSIN le 17 Septembre 1915

“Mon cher Alphonse, Je reçois à l’instant ta gentille lettre du 13 ainsi qu’une carte de cette chère maman. Le mandat s’y trouvait aussi et quant au colis on n’en a pas encore fait la distribution. Dans ma prochaine lettre je vous dirai si les raisins ont été bons. Encore une fois laisse moi te dire que mon abcès ne me fait plus souffrir et que ma santé est excellente. Ce soir nous allons assister à une représentation donnée par des poilus français et anglais ; prochainement je te donnerai quelques détails à ce sujet. Embrasse bien cette chère maman et cette chère grand-mère de ma part. Inutile de te dire combien je serais heureux si papa venait parmi vous. Pour toi une grosse caresse de ton petit frère car il parait que tu es plus grand que moi.

GABRIEL

 

79° Lettre HERSIN Le 18 Septembre 1915

“ Mes très chers parents, quelques mots à la hâte pour vous dire que ma santé est excellente et ne m’inquiète pas (sic). J’ai reçu hier le colis de raisins mais ils avaient fermenté et étaient gâtés à tel point qu’il m’a été impossible de les goûter. Par conséquent inutile de continuer à m’en envoyer car tous les colis seraient pareils. Hier, au matin, nous avons été assister à une matinée offerte aux poilus du 158°, matinée qui a été des plus intéressantes. Nous sommes toujours au repos et on se voit avec Lormand. Je termine et vous prie d’embrasser tous les parents pour moi. Pour vous chère maman bien chères grand-mères merci. Bien cher frère mes plus tendres caresses. J’espère bien qu’avant que cette carte vous arrive mon cher Alphonse aura reçu le colis que je lui ai envoyé.

GABRIEL

80° Lettre HERSIN le 19 Septembre 1915

“ Mes très chers parents, à l’instant je reçois la gentille carte de cette chère maman, et c’est par retour du courrier que je vous répond. Inutile de vous dire combien je suis heureux de vous savoir tous bien-portants, quant aux colis on n’en a pas encore fait la distribution, ce n’est que ce soir à 4 heures. Demain je vous dirai si je l’ai reçu. Maman me prévient qu’elle a oublié le paquet de tabac, elle est toute excusée pour cet oubli, mais dorénavant, inutile de m’envoyer du papier à cigarette, non, le tabac suffit car je ne fume que la bouffarde. Oui mes chers parents, la pipe c’est mon rêve, je ne fume qu’elle et je la trouve rudement fameuse! Ma santé est excellente, pas le moindre malaise, l’appétit et le sommeil tout va à merveille; il faut croire que cette vie mouvementée me fait du bien. Que vous dirais-je sur la situation, chers parents, pas grand-chose!!! Nous sommes toujours au repos, ou plutôt il vaut mieux dire en relève de division. Par conséquent, impossible de vous donner d’autres détails. J’ai reçu en même temps que votre lettre, une de papa, lui aussi est en bonne santé. Me voilà rassuré, et aussi je vous assure que je ne m’inquiète pas. Chaque soir on se voit avec Lormand et les autres amis. Je termine, mes chers parents, mille bons baisers à toute la famille, en particulier une douce caresse aux chères grand-mères et à ma cousinette. Pour vous, ma bien chère maman, ma bien chère grand-mère et mon cher frérot, recevez tous les baisers fous de celui qui pense constamment à vous.”

“ Mes chers parents, il est 4 heures et l’on vient de me remettre le colis contenant 2 paires de chaussettes, 1 serviette, 3 mouchoirs, saucisson, eau de cologne, épingles etc…Rarement colis a été aussi bien reçu, et celui-là plus que les autres arrivait à point. Aussitôt, je me suis empressé de changer de chaussettes, la seule paire qui me restait (il ne me restait qu’un mouchoir aussi). Merci aussi chers parents pour les provisions qui s’y trouvaient, jusqu’à l’eau de cologne qui, dans les tranchées, alors qu’on ne peut pas se laver est d’une très grande utilité. Je suis aussi heureux, chère maman, de savoir que les cousines ont reçues mes cartes avec plaisir. En particulier je suis content de voir que ma cousinette, bien que très jeune, garde pour moi toujours un bon souvenir. Je termine, encore une fois, merci. Mes meilleurs baisers pour vous mes chers parents. Je viens de recevoir aussi une lettre d’Eugène. J’écris en même temps à papa.”

GABRIEL

 

81° Lettre HERSIN le 21 Septembre 1915

“ Mes très chers parents, je reçois à l’instant votre gentille lettre, que je lis et relis toujours avec grand plaisir. Je suis heureux de vous savoir toujours bien-portants. Quant aux colis je les ai reçus tous les 5, et pour les raisins inutile de m’en envoyer encore car arrivés ici ils ne sont plus mangeables. Pour moi mes chers parents, ma santé est toujours bonne et ne m’inquiète pas. Nous sommes toujours ici en réserve et en arrière, c’est d’ailleurs le cas de tous les régiments d’active du secteur. Oui chers parents, ces jours-ci ce sont les territoriaux qui occupent les tranchées, et quant à nous on se repose… On en profite le plus possible car on comprend, tous, que les suites pourront être pénibles. Chaque soir on sort avec Lormand et les autres amis et vous savez que nos occupations et nos distractions ne varient guère. J’ai reçu en même temps que votre lettre une carte de Louis qui m’écrit qu’il se trouve avec Louis Négrou. Papa m’écrit aussi régulièrement et je lui répond en même temps qu’à vous. Vous devez voir sur les journaux que l’artillerie tire effroyablement, depuis quelques jours, nos canons et ceux des anglais, tirent sans cesse, et d’ici on n’entend qu’un roulement. D’ailleurs les blessés qui repassent nous disent que c’est un vrai déluge de fer et de feu. Pour ma part, chers parents, j’ai bon courage et bon espoir. Je termine et vous prie d’embrasser tous les parents de ma part. Maman ne me dit pas si ma cousinette reste toujours à la maison, cependant elle sait bien que je suis heureux d’apprendre qu’elle se trouve auprès de vous, surtout en ce moment ou notre cher Mirou est à Loupian. Une grosse caresse à la Rose et à ma cousinette. Pour vous, bien chère maman, bien chère grand-mère, bien cher frérot, recevez mes doux baisers. Mr Golfin m’a écrit et semble être mécontent de ce qu’Alphonse n’ait pas répondu à sa lettre (vous trouverez d’ailleurs sa missive jointe à ma lettre) je lui répondrai un de ces jours.”

GABRIEL

 

82° Lettre HERSIN Le 24 Septembre 1915

“ Mes très chers parents, je viens de recevoir, à l’instant, votre gentille lettre datée du 20 ainsi que celle de Marie-Rose et enfin une troisième de Granier. Inutile de vous répéter que la lecture de ces 3 lettres m’a fait passer un agréable moment. Je suis surtout heureux, chers parents, de vous savoir tous en bonne santé. Quant à moi je ne puis que vous en dire autant. Toujours bien-portant et toujours à Hersin, mais nous attendons notre départ chaque jours et n’attendons que l’ordre qui nous enverra à l’attaque. D’ailleurs notre artillerie commence à nous préparer le terrain et je vous assure qu’elle doit faire du bon travail. Quant à moi l’heure du départ me trouvera avec beaucoup d’espoir et de courage et j’espère que grâce à Dieu on en reviendra sain et sauf. Je vous tiendrai au courant et, ne serait-ce que par une carte, je vous ferai savoir le jour du départ. Chaque soir, chers parents, on se voit avec Lormand et les autres amis et on passe ainsi quelques heures ensemble. Je dois vous accuser réception, mes chers parents,  d’un colis contenant: 2 boites de conserve, que nous mangeons ce soir, 1 saucisson, 1 gâteau et des bonbons. Merci chère maman, mais le tabac, où est-il ? Je t’excuse car je comprend que tu as commis cet oubli car tu as trop de travail. Je dois dire que cette chère maman m’a bien  fait rire, lorsqu’elle m’écrit aujourd’hui de faire attention de ne pas trop fumer la pipe ! Ne t’inquiètes pas pour ça, chère maman, et crois que si cela me faisait mal, je l’abandonnerais. Or c’est tout le contraire, et je crois que la bouffarde que je traîne toute la journée, me fait beaucoup de bien. Tu me dis, aussi chère maman, que ma cousinette m’avait reconnu sur la photo, j’en suis bien content; fait-lui une grosse caresse de ma

 part ! Quant aux grand-mères je suis enchanté de les savoir pleines de santé, qu’elles aient bon courage et bon espoir et tout cela passera. Quand à mon cher Mirou, tout le monde m’écrit qu’il a grandi et que vraiment c’est un homme, j’en suis content et j’espère que la bague lui fera plaisir. Je termine enfin, embrassez bien tous les parents de ma part, pour vous ma chère maman, bien chère grand-mère, bien cher frérot, recevez mes plus tendres caresses. J’écris aussi à papa, quant à toi, chère maman, tes longues lettres me font de plus en plus plaisir.”

GABRIEL

 

83° Lettre HERSIN le 24 Septembre 1915

4 heures du soir

“Mes très chers parents, nous voilà à la veille de l’attaque, je ne puis vous donner des détails sur tous les préparatifs, non, sachez seulement que tout est bien préparé et nous donne confiance. On ne nous a pas encore dit si l’assaut des tranchées des boches sera de jour, mais nous nous croyons tous que ce sera au lever du jour. A côté de moi j’ai mon ami Maigron, et je vous écris au milieu d’un tapage assourdissant, car nos canons tirent sans-cesse. Hier soir j’ai pu dire bonjour à Lormand qui passait, et c’est en se souhaitant bonne chance qu’on s’est quitté. Pour ma part, chers parents, j’ai toujours bon espoir et bon courage et j’ai confiance que Dieu me protégera. Nous venons de manger la conserve de mouton qui a été excellente. Je termine, encore une fois, espérons, et recevez mes plus tendres caresses.”

GABRIEL

 

84° Lettre SECTEUR 116 Le 25 Septembre 1915

“ Mes très chers parents, hier soir à 6 heures et demie nous quittions rapidement Hersin, et je vous écris des 3° lignes. Je ne cacherais pas aussi que le 158° a vraiment peu de chance, car hier, alors qu’on partait, un très violent orage a éclaté et nous a mouillé jusqu’aux os. Le ciel reste brumeux, et après une période de beau temps, voici la mauvaise saison. Enfin, j’ai toujours bon courage et bon espoir. Ma santé est excellente et j’espère bien qu’il doit en être de même pour vous. Je termine, et vous envoie à tous mes plus tendres caresses. J’écris aussi, en même temps, à papa. Je vais vous dire aussi de na pas vous effrayer si de 2 ou 3 jours vous n’avez point de nouvelles, bien que, je ferai tout mon possible pour vous écrire.”

GABRIEL

 

85° Lettre BRUAY Le 29 Septembre 1915

“ C’est de l’hôpital de Bruay que je vous écris. J’ai été blessé pendant l’attaque du 27, à la cuisse gauche, par une balle. Malgré ma souffrance, j’éprouve un grand contentement. Je suis ici encore pour un certain temps, mais lorsque cela ira mieux, que je n’aurai plus de fièvre, je serai évacué plus loin. Je termine, mes chers parents, et j’écris aussi à papa. Mille baisers à tous les parents, pour vous, chère maman, bien cher frère, chère grand-mère, recevez mes plus tendres caresses. Hier, j’ai été opéré pour extraire la balle, nous sommes admirablement soignés. Voici mon adresse: Gabriel Imbert, ambulance 3-21? Secteur postal 89.”

GABRIEL

 

86° Lettre BRUAY Le 1° Octobre 1915

“ Mes très chers parents, c’est couché que je vous adresse ces quelques mots pour vous rassurer. Je suis toujours, encore, ici. Et ce ne sera que lorsque je pourrai supporter le voyage que l’on m’évacuera. D’ailleurs, je ne suis pas bien mal, ici, et souhaite que cela dure, car il est préférable d’être ici que dans les tranchées. J’écris aussi à papa. Mille caresses à tous.”

GABRIEL